La Ville durable : mythe ou réalité ?
mardi 1er avril 2014, par ,
La ville durable est une utopie. La notion est d’ailleurs paradoxale puisque le qualificatif de « durable » a été conçu à l’origine pour définir les visées d’un mode de développement et non pour caractériser un territoire proprement dit(1). C’est sans doute un raccourci de la pensée qui estime que ce que l’on rêve tout haut peut se réaliser tout bas : que les villes qui depuis 2007 abritent 50% de l’humanité, couvrent 2% de la surface de la planète et engloutissent 75% de ses ressources(2) puissent d’un coup d’un seul se transformer en parangon de vertus durables…
On avait vu dans un précédent article (flash N° 36) combien la définition de la ville durable était hasardeuse. Sans même vouloir être durable, le concept de ville était à géométrie variable. Imaginez celui de ville durable ! Concept issu du Sommet pour la Terre de Rio en 1992(3), la ville durable est néanmoins dans tous les espoirs. Selon les acceptations, qui ne rêverait pas que sa ville soit destinée à un avenir radieux ?
La ville durable sans définition est un thème porteur. C’est bien ce que les politiques ont compris très vite. En cette année d’élections municipales en France, les textes et autres colloques sur la ville durable se succèdent à un rythme soutenu. Sommet mondial de la ville durable à Nantes(4), le gouvernement « repense la ville dans la société postcarbone »(5), lancement du label « eco-quartiers »(6), etc.
Greenwashing aidant, les industriels ont rapidement réorganisé leurs départements utilities en département « ville durable ». Jamais le dernier, Siemens a récemment inauguré son centre pour la ville durable dans les bureaux futuristes du « Crystal » à Londres et pour l’occasion s’est payé une analyse des villes les plus durables de la planète(7). D’autres ont imaginé des simulateurs de ville durable(8).
Mais la mondialité des villes durables n’est pas en reste ! A tout seigneur tout honneur, les pétro-dollars sont en bonne position sur la ville pétro-durable. A ce titre Masdar City(9) (en construction à Abu Dhabi depuis 2008) s’est déjà taillée une solide réputation. Au-delà, la concurrence ne dort pas. Les pays du nord inventent la « DigiEcoCity » en Finlande, l’« InnovationCity » dans la Ruhr, ou encore la « Symbiocity » en Suède. Toutes villes durables, bien entendu.
Qu’en est-il réellement ?
Finalement quand on se penche sur les critères qui déterminent la ville durable, on retrouve souvent une grille d’analyse semblable dans les études. Ci-joints ceux utilisés pour « l’étude Siemens »(7) :
La population moyenne de la ville
Le PIB moyen par habitant
Les émissions de CO2
les espaces verts
la densité de population
la modalité des transports
les fuites du système d’adduction d’eau
la consommation d’eau
la production de déchets
le taux de recyclage
les émissions de dioxyde de soufre
les émissions de dioxyde d’azote
Le ranking Siemens : l’Europe
Maintenant, il ne faut pas croire qu’il y ait unanimité sur ces critères. Pour l’exemple on n’en prendra qu’un seul : la densité de l’habitat. Le journaliste du Guardian, bien connu pour ses positions en faveur de l’environnement, Mr Monbiot, s’est vu vertement tancé pour ses positions pour un habitat dense : « Pourquoi Monbiot a tort quand il parle des villes : d’abord, il n’y a pas d’évidence sur le lien entre l’utilisation de l’énergie et les densités. Ensuite, les villes à l’avenir devront produire pour subvenir à leurs propres besoins. Enfin, l’homme a besoin de la nature. Alors, arrêtons de prêcher une solution pour les riches (vert, horticultural, calme) et autre chose pour les pauvres (béton, dépendant, aliénation)(10). »
Evidemment d’autres critères influent aussi sur la capacité des villes à se repenser : la gouvernance, une approche réaliste, l’engagement civique de ses citoyens, la technologie, les agendas(11), etc. Certains proposent une approche très différente. Se basant sur le principe que les villes d’hier sont par définition durables, puisqu’elles sont arrivées jusqu’à nous, l’avenir leur paraît résider davantage sur un modèle plus modeste, « villes en transition ou transition towns(12) » où alimentation, travail et repos sont disponibles dans un circuit ultra court, ce qui -vous vous en souvenez- avait été relevé comme un avantage pour réduire l’impact de la ville, cela en rupture totale avec les mégalopoles actuelles.
Bref, la ville durable est loin d’être une science exacte, même si elle souhaiterait l’être. Quand Terraeco(13) (palmarès des villes durables, Mars 2014) dit de Nice que ce n’est pas une ville durable contrairement à ce que son maire, Christian Estrosi, affirme, celui-ci répond au magazine que Nice est une ville durable par ce qu’il y fait bon vivre. Finalement la ville durable chacun peut la voir comme midi à sa porte… Et elle reste une utopie en mouvement, qui ne saura sans doute si elle est suffisamment durable et suffisamment résiliente que face aux épreuves, et ce qu’a posteriori…
Références citées :
1.http://www.cstb.fr/fileadmin/documents/publicationsScientifiques/doc00006246.pdf
2.Müller N., Werner P., 2010 “Urban biodiversity and the case for implementing the convention on biological diversity in towns and cities”
3.http://www.un.org/french/events/rio92/
4.http://www.ecocity-2013.com/
5.http://www.developpement-durable.gouv.fr/Repenser-les-villes-dans-la.html
6.http://www.territoires.gouv.fr/les-ecoquartiers
7.http://www.siemens.com/entry/cc/en/greencityindex.htm
8.http://www.greenunivers.com/2014/02/les-simulateurs-de-la-ville-durable-a-la-francaise-en-ordre-de-marche-premium-108766/ http://www.lemoniteur.fr/133-amenagement/article/actualite/23630861-astainable-le-simulateur-ville-durable-du-groupement-eiffage-egis-et-gdf-suez
10.http://www.neweconomics.org/blog/entry/why-monbiot-is-wrong-on-cities
11.http://www2.ademe.fr/servlet/KBaseShow?sort=-1&catid=13350
12.http://villesentransition.net/ http://www.transitionfrance.fr/
13.http://www.terraeco.net/Le-palmares-des-villes-durables,53911.html
Retrouvez également cet article dans le Flash n°39.