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Le bilan carbone et son application en Chine

dimanche 1er juin 2014, par Julia FESTE (ECN 12)

1. Une méthode singulière de quantification de gaz à effet de serre

Co-élaboré en 2004 par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) [1] et Jean-Marc Jancovici [2] , le Bilan Carbone est une méthode et un outil permettant de comptabiliser les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) engendrées par une activité ou un territoire.

En France, la loi Grenelle 2 a rendu le Bilan Carbone obligatoire pour les entreprises de 500 salariés, les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants, et les établissements publics de plus de 250 personnes (il prend alors le nom de BEGES, Bilan d’Emissions de Gaz à Effet de Serre).

Un Bilan Carbone n’est pas une Analyse de Cycle de Vie [3] : l’outil est monocritère (point de vue des GES), en revanche il a un périmètre plus large puisqu’il balaie l’ensemble d’une activité ou d’un territoire. Ce n’est pas non plus un audit énergétique [4] : en plus des émissions directes d’une activité (sources fixes : installations, équipements, bâtiments, process industriel...), il permet de quantifier ses émissions indirectes intermédiaires (sources mobiles telles que le fret interne, le fret depuis les fournisseurs et vers les clients, le déplacement de personnes, achat d’électricité et de vapeur), et ses émissions indirectes globales (fabrication des matériaux entrants, traitement des déchets en fin de vie, utilisation des produits,...). Il ne prend pas en compte les émissions dites « évitées » (puits de carbone, compensation, sé-questration). La cartographie des flux et des postes d’émissions d’une activité peut être représentée de la façon suivante :

L’outil Bilan Carbone se présente sous forme d’un tableur Excel. Une donnée est convertie par un facteur d’émission en tonne équivalent CO2. Les facteurs d’émissions sont bien connus en France mais régulièrement remis a jour. Un Bilan Carbone en France d’une entité quelconque nécessite de collecter les données du type : kWh d’électricité consommée sur une année, type de camion utilisé pour le fret amont et aval, distance au fournisseur, distance au client, nombre de km parcourus par les employés entre leur foyer et leur lieu de travail ... Le tableur Excel fait le reste en s’appuyant sur la base de données de facteurs d’émission.

Il faut bien sur ensuite analyser les résultats en concertation avec l’entité qui a choisi de réaliser son Bilan Carbone. Le but ultime du Bilan Carbone n’est pas tant de quantifier les émissions de GES que de pro-poser un plan d’action, suite à l’analyse des postes les plus émetteurs en émissions de GES, d’ou l’importance de faire appel à des experts en réduction des GES pour le mener a bien.

Le tableur de la méthode Bilan Carbone propose également, de manière standard, des extractions reprenant les périmètres proposés dans la norme ISO14064 publiée en mars 2006. Les périmètres ISO accordent une importance première à la propriété de la source plutôt qu’à la mobilité de la source :

2. Un outil flexible et adaptable, cas de la Chine

Le format tableur Excel permet une grande flexibilité selon les contextes, et surtout selon la localisation géographique, permettant d’ajouter ou de supprimer des lignes de données, et de modifier les facteurs d’émission.

La recherche des facteurs d’émission par localisa-tion est au cœur d’une adaptation de la méthode Bilan Carbone dans un pays donné.

Dans le cas de la Chine, 14 fois plus grande que la France, il faut aller encore plus loin en adaptant les fac-teurs d’émission non pas au niveau national, mais au niveau provincial, voire au niveau municipal.

Les bureaux d’études IES [5] (Internat Energy Solu-tions), et ECIC [6] (Energie Conseil Ingénierie Carbone), en partenariat avec la ville de Bordeaux jumelée avec Wuhan, et soutenus par l’ADEME, l’AFD, et le MAE, mè-nent actuellement l’adaptation de la méthode Bilan Car-bone à Wuhan. Le projet a été officiellement signé en présence de la vice-maire adjointe au développement durable de la ville de Bordeaux Anne Walryck et le maire de Wuhan M. TANG Liangzhi le mercredi 20 novembre, à l’occasion du forum des villes jumelles de Wuhan. Une ingénieure centralienne est actuellement en poste de Volontariat Solidarité Internationale à Wuhan afin de mener à bien cette mission [7] .

Ce projet a été initié en février 2011 avec une pre-mière visite de 5 experts wuhanais à Bordeaux pour une formation « découverte » de la démarche Bilan Carbone, suivie d’une mission exploratoire par les bureaux d’étude français à Wuhan en février 2012. Il profite en outre d’une première expérience en la matière réalisée en 2011 à Tianjin par le bureau d’étude IES.

La première phase du projet a pour but d’établir le bilan carbone de 4 sites pilotes de styles différents (un quartier résidentiel, un bâtiment administratif, et deux industries), qui permettront à la fin de l’année 2014 de disposer d’une première base de données de facteurs d’émission applicable à la ville de Wuhan et à la province du Hubei.

Le processus d’adaptation est par ailleurs une très belle occasion pour sensibiliser les structures chinoises (entreprises, industries, communautés résidentielles) aux possibilités qui s’offrent a elles en terme de choix écologique (choix des fournisseurs ; choix du mode de frets des marchandises ; de services proposés à leurs employés, leurs clients, leurs résidents ; aménage-ment des voies ...).

3. Intérêt pour la ville de Wuhan

Pour comprendre l’intérêt des gouvernements de Wuhan et du Hubei pour notre méthode française, il faut savoir que le gouvernement national a pour la première fois inscrit un paragraphe à propos des politiques énergétique et climatique dans son 12eme plan quinquennal, proposant l’utilisation accrue des instruments de marché [8] .

Les trois piliers de ces politiques énergétiques et climatiques sont : un approvisionnement énergétique suffisant et sécurisé, la réduction des émissions de GES, et le reboisement des forêts.

L’objectif concernant les émissions de GES est une diminution de 17% des émissions de CO2 par unité de PIB d’ici 2015 par rapport à 2005, qui doit mettre le pays sur la voie de son engagement international pris au sommet de Copenhague en décembre 2009 de réduire l’intensité en CO2 de l’économie de 40 à 45% d’ici 2020.

Suite à la publication du 12ème plan quinquennal, le gouvernement central chinois a ainsi introduit une série de réglementations en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) via la mise en place de marchés carbone , et le développement d’industries et de services bas-carbone. Les gouvernements locaux sont particulièrement sollicités.

La province du Hubei est doublement concernée, puisqu’elle fait partie à la fois des 12 programmes pilotes bas-carbone, et des 7 systèmes pilotes de quotas d’échanges d’émission de GES.

Le gouvernement du Hubei possède sa propre méthode de quantification des GES, mais comparative-ment à la méthode Bilan Carbone, elle se limite aux scopes 1 et 2, et ne prend pas en compte les émissions indirectes décrites par le scope 3.

Tout l’enjeu de ce projet est de co-construire un nouvel outil propre à la ville de Wuhan, mais modifiable et réplicable par des experts formés sur place à la province du Hubei et d’autres régions de la Chine, afin de produire et de mettre en application des plans d’action de réduction de GES pertinents et adaptés aux contextes locaux.

Ces actions peuvent être d’ordre technique ou de l’ordre de la gestion des comportements. Les actions techniques peuvent concerner l’efficacité énergétique (isolation thermique, remplacement des lumières par des LED...), ou bien des choix de planification urbaine (plus de tramway, de métro...). Les actions d’ordre comportemental sont plutôt des incitations et facilitations pour la population à adopter des comportements écologiques : multiplication des pistes cyclables, création de places de parking pour le covoiturage…

Toute action proposée devra être consciencieuse-ment pesée au regard de la situation actuelle et à venir du pays. Par exemple, proposer d’augmenter les lignes de tramway afin de diminuer l’usage des voitures en ville comme cela a été fait à Bordeaux est-il pertinent dans un pays où l’électricité provient à presque 70% des centrales à charbon ?

Retrouvez également cet article dans le Flash n°40.


[3Une ACV est une étude globale des impacts environnementaux d’un produit ou d’un service. En plus des GES sont pris en compte des impacts tels que l’acidification, l’eutrophisation de l’eau, les consommations d’eau, l’épuisement des ressources, etc. Il s’agit donc d’une analyse multicritère, qui nécessite une importante connaissance des données propres du produit ou service analysé. L’ACV est orientée « produit » ou « service ».

[4L’audit énergétique porte sur l’ensemble des équipements thermiques et sur l’enveloppe du bâtiment et peut déboucher, en fonction des besoins du client, sur des études de faisabilité plus spécifiques.

[7Julia.feste@gmail.com, auteur de cet article

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