Le « FLNG » : la production et la liquéfaction du gaz naturel en eaux profondes
lundi 1er décembre 2014, par
Le gaz naturel (GN) est un mélange de gaz, formé d’hydrocarbures (principalement du méthane), issu de la fossilisation d’organismes vivants et stocké dans des roches poreuses. Cette énergie fossile, représentant aujourd’hui la troisième source d’énergie consommée après le pétrole et le charbon, est celle que l’on préfère comparée à ses homologues, dû à son rendement énergétique supérieur et à son émission de gaz à effet de serre moins importante et d’autres composants polluants et toxiques en très faible quantité. Certaines études font état d’une réserve mondiale de GN de 187 Tm3 en 2012 (BP Statistical Review – 2013), avec un tiers de ces réserves en mer, dont un grand nombre éloigné des côtes.
Une façon de faciliter le transport et la commercialisation du GN, notamment sur de longues distances, est de le liquéfier pour former du gaz naturel liquéfié (« LNG ») dont le volume représente 1/600ème du volume gazeux initial. Cette forme correspond actuellement à 30% du GN importé dans le monde.
Jusqu’à présent, l’exploitation en mer du GN était limitée à son extraction et à son transfert après traitements partiels vers des méthaniers ou des réseaux de gazoducs, afin d’être traité dans des usines à terre, souvent proches des gisements. Un grand nombre de facteurs techniques et économiques ont limité cette exploitation de GN dans les gisements difficiles d’accès : comme le développement de gazoducs sur de longues distances avec infrastructures associées (non viables économiquement) et de surcroît passant sur le fond marin (problèmes d’installation, de protection anticorrosion, d’isolation et d’entretien des tuyauterie, etc.), la connexion des gazoducs aux structures offshore ou bateaux-citernes (nécessitant une flexibilité des points de connexions pour des questions de sécurité, notamment en mers instables), la construction d’usines chimiques près des côtes (impliquant aménagement et drainage des terres, pollution des territoires environnants et difficultés de démobilisation en fin de cycle).
De nombreuses études ont néanmoins été menées ces quatre dernières décennies afin de conceptualiser une nouvelle technologie semblable aux navires-usines déjà existants d’exploitation en mer d’hydrocarbures et de pétrole (« Floating, Production, Storage & Offloading » ou « FPSO »). Ce nouveau concept, le « Floating Liquefied Natural Gas » ou « FLNG », permettrait le traitement, la liquéfaction et le stockage du GN, sous une forme liquéfiée, avec des produits annexes (e.g. gaz de pétrole liquéfié ou « LPG », condensats, mercure, etc.). Avec une demande en forte croissance sur le marché du GN, il est aujourd’hui économiquement possible de réaliser de tels projets de grandes ampleurs (« Megaprojects »), en s’appuyant notamment sur les nombreuses études de faisabilité précédentes.
L’idée de base du FLNG est d’assembler sur un même navire différents composants ayant chacun une fonction particulière :
– Une enceinte de stockage de produits cryogéniques, occupant une grande partie de la coque,
– Une tour (« Turret ») ayant une double fonctionnalité : permettre l’amarrage et récupérer via des con-duites le gaz extrait des gisements,
– Une unité de traitement de gaz, permettant de séparer les différents constituants du gaz extrait, une unité de liquéfaction, permettant de liquéfier le GN ainsi purifié ainsi qu’une unité de production d’électricité – ces unités se trouvant sur le pont du navire (« Topsides »),
– Une torchère (« Flare »), permettant de brûler les résidus de gaz pendant l’opération,
– Des dispositifs de transfert (« Offloading ») de pro-duits stockés vers des méthaniers,
– Un emplacement d’hébergement du personnel et de suivi médical,
– Divers points de stockage de matériaux et équipements,
– Finalement, un système de contrôle (du procédé chimique), de sûreté et de sécurité.
La complexité est ici triple car elle consiste à ras-sembler au sein d’un même navire trois technologies d’origine différentes, i.e. : la technologie offshore, qui consiste à relier l’architecture sous-marine d’extraction à l’usine flottante, à interconnecter les différentes unités du navire entre elles puis à assurer le transfert des produits stockés vers l’extérieur ; la technologie liée à l’industrie pétrochimique, qui consiste à re-grouper dans un espace restreint et compact toute une usine de traitement de GN hautement complexe ; enfin, la technologie maritime, liée à tous les aspects de la navigabilité et flottabilité du navire.
L’étude en amont de l’ampleur du réservoir et de la composition du GN brut joue un rôle crucial dans la réalisation des projets FLNG. En effet, c’est principalement elle qui dicte la nature du procédé chimique, les produits annexes exploitables, et donc la nature de l’usine flottante munie de ses infrastructures.
Du fait de sa grande similarité avec le navire-usine FPSO, le FLNG peut être conçu et réalisé en s’inspirant largement des bases du FPSO : e.g. l’architecture navale, l’agencement structurel sous forme modulaire, les multiples conduites connectant les différents compartiments, le système de régulation de flux, les équipements (compresseurs, réservoirs sous pression, pompes, etc.) et leur alimentation, l’ensemble du système de contrôle, puis finalement le transfert des produits stockés vers l’extérieur. Toutefois, le grand changement avec cette nouvelle technologie vient de :
– L’usine de traitement et liquéfaction, faisant appel à un procédé différent et ayant davantage d’équipements et de conduites à haute pression,
– Et de l’enceinte de stockage de produits liquides cryogéniques, devant être spécialement conçue pour stocker le LNG.
De nombreuses normes et standards techniques ont été établis afin de les appliquer aux FLNG. Des études sont en cours afin de rendre cette réglementation plus complète et exhaustive.
Technologie Offshore :
Comme dans de nombreuses structures offshore, les différents unités et emplacements au sein du FLNG sont modularisés, avec des espacements de sécurité les séparant. Chaque unité, ainsi dotée d’une fonction particulière, est constituée d’une structure en armature métallique à multiétages. Tout un système de canalisation permet de relier les équipements et machines dans l’ensemble du FLNG, auquel un système de régulation du flux vient composer.
De longues conduites verticales (« Risers ») permettent la connexion du FLNG – via le « Turret » – à l’architecture sous-marine (« Subsea Production Sys-tem ») disposée sur le fond marin, afin de pouvoir ex-traire le GN brut depuis les différents puits de gisement interconnectés. Cette architecture sous-marine est constituée d’équipements et de lignes de conduites (« Flow-lines » et « Umbilicals ») permettant de réguler les flux de gaz à extraire, d’injecter des substances nécessaires à son fonctionnement et de contrôler l’ensemble du système depuis le FLNG.
Technologie de Procédé Chimique :
Le GN brut extrait directement du gisement de gaz est généralement de composition suivante :
– Du méthane (CH4) en grande quantité et des hydrocarbures lourds, constituants du LNG,
– Des condensats de GN (mélange liquide d’hydrocarbures légers), du LPG et du mercure (Hg) – constituants pouvant avoir des valeurs marchandes importantes,
– Des « gaz acides » (principalement du dioxyde de carbone (CO2) et du sulfure d’hydrogène (H2S)), de l’eau et des solides érosifs (sables, argiles, etc.) – éléments non désirables devant être retirés.
Deux phases fondamentales composent l’usine chimique du FLNG : le traitement du GN brut en provenance des puits, afin de séparer les différents constituants, et la liquéfaction, afin de liquéfier le GN ainsi « purifié » pour obtenir le LNG.
Le procédé de traitement du GN se résume principalement comme suit :
– Réception et séparation : consistant à recueillir le GN brut et à le séparer de ses solides érosifs le constituant, pouvant endommager les équipements et conduites. Des techniques utilisant la quantité de mouvement, la gravité ou la coalescence peuvent être utilisées à cet effet,
– Stabilisation des condensats : consistant à stabiliser les condensats d’hydrocarbures initialement liquides dans le gisement, qui ramenés à la pression atmosphérique peuvent produire des « évaporations flash » dans les enceintes de stockage. Des méthodes basées sur la vaporisation ou la stabilisation par fractionnement peuvent être utilisées.
– Retrait des « gaz acides » (CO2 et H2S essentielle-ment) : qui peuvent aussi causer des dommages dans les infrastructures. Des techniques basées sur l’adsorption (consistant à introduire un élément solide intermédiaire absorbant les impuretés à sa surface) ou sur l’absorption (consistant à introduire une solution absorbante – technique dépendant de la solubilité des impuretés) peuvent ici être utilisées. Le CO2 ainsi récupéré peut soit être relâché dans l’atmosphère (méthode posant problèmes sur le plan environnemental car certaines règlementations l’interdisent), soit être réinjecté dans le réservoir (permettant de pallier la baisse de pression dans celui-ci) ou bien stocké pour être fourni à des industriels.
– Déshydratation et retrait du mercure : ici, l’eau est soustraite du flux de gaz, sa solidification pouvant altérer le procédé global. Des techniques basées sur l’injection d’éléments dessiccateurs (solides ou liquides) ou la réfrigération peuvent y être utilisées. Le mercure (Hg) est aussi retiré par des méthodes basées sur l’adsorption ou la filtration – le mercure pouvant provoquer de la corrosion au contact de l’aluminium,
– Fractionnement : consistant à séparer le LPG, afin d’être commercialisé (si trouvé en quantité suffi-sante) ou tout simplement utilisé comme carburant au sein du fonctionnement du FLNG. Une méthode couramment utilisée est le fractionnement chimique, s’opérant en trois étapes successives : le Déséthaniseur (retrait de l’éthane), le Dépropaniseur (retrait du propane) et enfin le Débutaniseur (retrait du butane).
Le procédé de liquéfaction du GN consiste à refroidir celui-ci à une température avoisinant les -162°C et à obtenir un liquide cryogénique. Les trois procédés les plus couramment utilisés sont :
– Le procédé utilisant un mélange de réfrigérants : i.e. de l’azote et des hydrocarbures, dont la composition est adaptée à la courbe de refroidissement du GN,
– Le procédé de refroidissement par cascade, en trois étapes : d’abord le propane est utilisé pour pré-refroidir le gaz, ensuite l’éthane ou l’éthylène pour ramener le gaz à la température de liquéfaction, enfin le méthane dans la dernière phase de liquéfaction,
– Le procédé utilisant la dilatation thermique : par le biais d’un cycle de compression-dilatation, où le méthane ou l’azote sont utilisés comme réfrigérants.
Le fonctionnement global du FLNG nécessite un apport important en termes de puissance électrique, entre 100 et 250 MW, notamment dû à la présence d’un nombre important d’équipements. Les turbines à gaz peuvent être utilisées comme générateurs électriques, dû à leur grande capacité à fournir de l’électricité. Elles peuvent aussi jouer le rôle de chaudières de récupération, en recyclant les flux de chaleur issus des diverses unités de l’usine chimique intégrée.
Le refroidissement est également nécessaire à plusieurs niveaux du procédé chimique, vraisemblablement avec l’eau de mer utilisée dans un circuit fermé. Il faudrait toutefois traiter au préalable cette eau de mer au moyen de substances chimiques spécifiques (e.g. les biocides).
Technologie Maritime :
Le développement de l’aspect maritime du FLNG – dont la conception de sa coque – dépend essentiellement de l’usine chimique que l’on veut y intégrer. Cette usine avec son infrastructure étant placée sur le pont du navire, la coque intègre principalement les réservoirs de stockage de LNG ainsi que des enceintes permettant le lestage du navire. Les réservoirs de stockage sont au centre de transferts d’efforts relativement importants, d’une part dus à l’inertie du pont du navire avec ses différentes unités, et d’autre part dus aux ballottements générés par le liquide au sein même de ces réservoirs.
L’architecture de la coque est conçue afin d’apporter au FLNG la stabilité hydrodynamique et la robustesse pour faire face aux dommages et incidents potentiels pouvant y survenir.
Une attention toute particulière doit également être accordée aux infrastructures de déchargement des produits stockés dans le FLNG. Les deux procédés les plus courants sont :
– Le transfert où le méthanier vient se poser côte à côte avec le FLNG (« Side-by-side transfert »), où le transvasement est réalisé via des bras de charge-ment rigides,
– Le transfert en tandem (« Tandem transfert »), où le transvasement est réalisé depuis la poupe du FLNG vers la proue du méthanier via des conduites cryogéniques flexibles.
La corrosion doit également être prise en compte durant toute la phase de production du FLNG. L’application de couches de revêtement anticorrosion et la protection cathodique permettent de pallier ce phénomène.
Risques :
La maîtrise de la sécurité et de la sûreté figure comme un aspect primordial dans la conception du FLNG. Chaque composant du navire-usine est voué à des risques d’incidents potentiels et la forme compacte de ce dernier accroît fortement la probabilité d’accidents catastrophiques suite à une réaction en chaîne d’incidents ponctuels. Ces incidents potentiels peuvent être liés à :
– La fuite du GN brut pouvant se produire pendant son extraction sous-marine ou son transfert au FLNG,
– La fuite de gaz pendant le procédé de traitement, pouvant former un nuage gazeux inflammable,
– La rupture pendant le procédé de liquéfaction, avec le déversement de liquides cryogéniques ou d’autres substances (réfrigérants) facilement inflammables,
– La rupture au niveau des réservoirs de stockage de LNG, due aux effets de ballottement ou à des pro-blèmes d’instabilité au sein du produit stocké résul-tant d’un phénomène de sur-pressurisation,
– La nature cryogénique du LNG pouvant représenter, en cas de fuite, un fort danger pour l’équipage (contact prolongé sur la peau humaine) et pour les infrastructures et équipements (nécessitant d’ailleurs des protections spécifiques),
– La structure même du FLNG, avec le transfert d’efforts relativement importants depuis le pont du navire vers sa coque, pouvant induire de l’instabilité structurelle (flambement), et avec le phénomène de fatigue, pouvant provoquer sur le long terme la rupture de structures. L’agencement des différentes unités dans un espace confiné a également son importance, pouvant mener à l’aggravation d’incidents ponctuels par effet domino,
– Le transfert du LNG vers les méthaniers, avec de forts risques de rupture ou de collision lors du con-tact – le « Tandem transfert » étant considéré comme plus sûr.
De nombreuses mesures de prévention existent afin de minimiser les risques d’incidents potentiels, même mineurs. A l’image des FPSO, l’idée est ici de mettre en place un système de contrôle optimal alliant sûreté et sécurité, afin de détecter les éventuelles anomalies et d’intervenir rapidement et efficacement – la priorité étant bien évidemment accordée à la protection des intervenants du FLNG. Parmi ces mesures préventives figurent :
– Des systèmes efficaces de détection de feu et de fuite de gaz, munis d’équipements d’intervention adaptés – ceci à toutes les étapes du fonctionnement du FLNG,
– La mise en place de zones d’espacement et de voies d’évacuation dans l’ensemble du navire et la séparation spatiale des unités de traitement chimique à fort risque d’explosion,
– Éventuellement, le choix dans le procédé de liquéfaction utilisant des gaz inertes comme réfrigérants, diminuant ainsi les incidents potentiels mais également leur gravité,
– L’emplacement de l’hébergement du personnel dans une zone sécurisée, e.g. avec des murs de protection anti-incendies (« Blast walls »),
– Un système de contrôle du périmètre de navigation du FLNG, afin d’éviter d’éventuelles collisions.
La majorité des composants du LNG étant considérée comme propre et non-polluante, l’impact de son éventuel déversement dans l’eau de mer représente peu de danger vis-à-vis de l’environnement marin – mis à part éventuellement l’effet local sur son habitat. Les risques sont plutôt liés à la formation d’un nuage gazeux à fort potentiel d’explosion, suite à la vaporisation du LNG dans l’eau de mer, à la propagation de gaz toxiques sur un périmètre étendu, et à la pollution locale de l’eau de mer due à certaines substances utilisées dans le FLNG (e.g. aluminium, mercure et autres métaux).
Projets concrets :
A ce jour, faisant suite à de nombreuses études de faisabilité, deux projets de construction de FLNG sont en cours de réalisation :
– Shell Prelude FLNG (*) : il serait opérationnel pour 2016, à environ 200 km des côtes nord-ouest de l’Australie, avec une capacité de production de LNG de 3,6 millions de tonnes/an (« mtpa ») – pour une production totale de 5,3 mtpa – sur une profondeur d’extraction de 250 m environ. Ce serait la plus grande structure offshore jamais construite, possédant des dimensions très imposantes : 488 m de long et 74 m de large. Ce FLNG serait par ailleurs conçu pour faire face à des conditions en mer extrêmes (cyclones de catégorie 5).
– Petronas FLNG (*) : prévu pour fin 2015, à environ 180 km au large des côtes nord-ouest de la Malaisie, il aurait une capacité de production de LNG d’environ 1,2 mtpa et serait doté des caractéristiques suivantes : 365 m de long et 60 m de large.
(*) Informations à confirmer par la suite.
Conclusion :
Les FLNG offrent une alternative économiquement plus qu’intéressante comparée aux dispositifs actuels d’exploitation du GN en mer, et permettent en outre d’atteindre des gisements sinon difficiles d’accès, majoritairement en eaux profondes (i.e. de profondeurs a priori supérieures à 150 m). L’autre avantage qu’offre cette nouvelle technologie est celui de pouvoir changer de site – moyennant quelques modifications – lorsque le gisement exploité arrive à épuisement.
Nous pouvons aujourd’hui classer les FLNG en deux grandes catégories :
– Ceux à capacité moyenne de production, ayant des dimensions proches de leurs homologues FPSO, permettant de produire de 1,5 à 3 mtpa et ayant une capacité de stockage de 210 000 m3 environ,
– Ceux à grande capacité de production, avec des dimensions très importantes, permettant de produire de 3 à 5 mtpa et ayant une capacité de stockage de 330 000 m3 environ.
Parallèlement aux deux projets de construction cités plus haut, de nombreux autres projets d’études en amont (« Front-End Engineering Design ») de FLNG ont récemment vu le jour et vont probablement donner lieu à l’essor de cette nouvelle technologie en mer, marquant une avancée du domaine de l’Offshore.
Retrouvez également cet article dans le Flash n°42.