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Production d’électricité décentralisée – vers de nouveaux modèles économiques au Cambodge

mercredi 1er avril 2015, par Benoit Lacroix (ECLi 06)

Enclavé entre le Vietnam, la Thaïlande et le Laos, le Cambodge est un pays essentiellement rural de 15 millions d’habitants. A la superficie trois fois plus petite que la France, il a été durement éprouvé durant le régime Khmer rouge et les années d’occupation vietnamienne, et peine encore à se relever de ses blessures. En particulier, les infrastructures peinent à se développer, et, aujourd’hui, plus des deux tiers de la population n’a toujours pas accès au réseau électrique.

Le contexte électrique cambodgien

Malgré une augmentation de la production électrique de près de 75% ces deux dernières années et les importations du Vietnam, du Laos et de Thaïlande, le Cambodge reste largement en sous-capacité de génération électrique [1,2]. Les coupures de courant sont fréquentes à Phnom Penh et dans les autres villes du pays, en particulier durant les mois les plus chauds.

Au Cambodge, la distribution d’électricité est structurée autour de l’Electricity Authority of Cambodia (EAC) et d’Electricité du Cambodge (EDC), le fournisseur historique. Ce dernier est présent essentiellement dans les grandes villes. Dans les zones rurales, l’EAC s’appuie sur un réseau de 280 entrepreneurs ruraux, qui reçoivent des licences pour produire et/ou distribuer de l’électricité dans une zone géographique donnée [3].

Plusieurs obstacles entravent cependant l’efficacité de ce système. D’une part, le processus d’attribution des licences reste complexe et opaque, et les incertitudes sont souvent fortes quant à la pérennité des investissements réalisés. D’autre part, du fait de contraintes techniques et financières, les entrepreneurs ruraux offrent généralement un service limité. Ils n’opèrent que dans les zones densément peuplées, et, dans de nombreuses régions, l’électricité n’est disponible que de 18h à 21h. De plus, les tarifs sont élevés : un kWh coûte ainsi entre 0,5 USD et 1 USD. Cela représente un coût de trois à six fois plus élevé qu’en France…

Résultat : moins de 34% de la population cambodgienne est reliée au réseau électrique. Face à cette situation, le gouvernement a clairement affiché sa volonté d’électrifier le pays. L’objectif actuel est d’atteindre un taux d’électrification de 70% d’ici 2030. Cet objectif est ambitieux, mais, même s’il était atteint, on serait encore loin d’un accès universel à l’énergie. En effet, 30% des foyers ne disposerait toujours pas d’une source fiable d’électricité.

Les solutions actuelles

Tout comme les habitants de pays plus développés, les Cambodgiens ont besoin d’électricité, aussi bien pour s’éclairer et charger leurs téléphones portables que regarder la télévision. Ils utilisent donc tous des solutions alternatives. Pour avoir quelques heures de lumière le soir, les plus pauvres s’éclairent à l’aide de lampes à kérosène, mauvaises pour la santé et à la lumière souvent médiocre. Les plus riches disposent souvent de générateurs au diesel, qui sont cependant bruyants et chers en coûts de fonctionnement.

Mais la solution utilisée par la majorité des Cambodgiens, c’est la batterie de voiture 12 volts. Ils branchent directement dessus lampes, radio ou télévision adaptée (Figure 1). Cette solution est relativement efficace et économique ; mais elle n’est pas tout à fait satisfaisante. La batterie est en général vide au bout de deux ou trois jours d’utilisation, et il faut alors la recharger.

Pour cela, inutile d’aller bien loin. Dans chaque village, il y a une station de recharge de batteries. Néanmoins, ce n’est pas très pratique. Une batterie pèse entre 20 et 25 kg, ce qui rend le trajet (à vélo ou en moto sur des routes en terre) jusqu’à la boutique particulièrement pénible, en particulier pendant la saison des pluies. Et, évidemment, quand votre batterie est à la boutique, vous n’avez plus d’électricité à la maison ! Enfin, le rude traitement qu’elles subissent à la station de recharge réduit leur espérance de vie à moins d’une année.

Figure 1 : Une batterie de voiture utilisée pour l’éclairage, la recharge de téléphone et la télévision

Vers des solutions renouvelables

Dans ce contexte, les solutions renouvelables offrent des perspectives intéressantes. Avec un fort ensoleillement et les nombreux résidus issus de la culture du riz ou des noix de coco, le pays possède un fort potentiel pour le solaire et la biomasse. A l’image du secteur des télécoms où le téléphone portable s’est imposé sans passer par le développement d’infrastructures filaires, le Cambodge pourrait voir émerger sans transition des modèles alternatifs de solutions énergétiques décentralisées [4].

Pour améliorer l’ordinaire énergétique des Khmers, l’on pourrait par exemple coupler ou remplacer les batteries de voiture avec des solutions solaires. Cela permettrait à la fois d’accroître la durée de vie des batteries, mais cela se traduirait surtout par un confort accru d’utilisation. Avec un panneau solaire, plus besoin d’emmener sa batterie à la station de recharge trois fois par semaine ! D’ailleurs, certaines personnes l’ont bien compris puisqu’elles branchent ainsi directement un panneau photovoltaïque à leurs batteries.

Néanmoins, ces panneaux achetés au marché local sont souvent de médiocre qualité et se détériorent en quelques années (contre plus de 20 ans pour un produit premium). De plus, ils ne résolvent pas le problème de la durée de vie des batteries. C’est pourquoi nombreux sont les Cambodgiens qui recherchent des solutions plus durables.

La question du financement

Les solutions répondant à ce besoin existent, et plusieurs acteurs locaux, tels que Kamworks (*), NRG Solutions ou Comin Khmere, se sont démarqués en commercialisant des produits de bonne qualité. Ces entreprises peinent néanmoins à trouver leur marché, l’une des principales difficultés restant le prix des systèmes. Il faut compter entre 200 USD pour un kit solaire permettant d’avoir 2-3 lampes et de charger un téléphone portable, et 650 USD ou plus pour un système solaire pour l’habitat de 100Wc permettant d’utiliser 5 ou 6 lampes et de regarder la télévision pendant 5-6 heures. Le plus souvent, ces tarifs sont hors de portée des Cambodgiens ruraux.

Afin de débloquer cette situation, une solution est d’offrir des possibilités de financement. Cela présente d’ailleurs l’avantage de répondre simultanément à la problématique financière et aux craintes des clients échaudés par les systèmes de mauvaise qualité (« si ça ne marche pas, je ne paie pas ! »). Par exemple, dès 2009, Kamworks a mis en place des partenariats avec des instituts de microfinance afin de faciliter l’accès au crédit pour ses clients. Cependant, pour fournir un prêt, les instituts exigent des titres de propriété. Ce qui peut paraître évident en France ne l’est pas nécessairement au Cambodge et nombre de Khmers, en particulier dans les campagnes, ne disposent pas d’un tel document. Souvent, ils ont été détruits sous le régime Khmer rouge. Et même pour ceux qui ont un titre de propriété, la peur de perdre leurs terres en cas de problème de remboursement est un frein important.

Vers un nouveau modèle économique

Ces dernières années, cependant, les nouvelles technologies ont changé en profondeur l’accès au financement dans les pays en développement. Elles ont permis l’émergence de modèles économiques très innovants [5]. Tout d’abord, le paiement par téléphone portable facilite les transferts d’argent et rend possible le paiement de factures à distance, même sans compte bancaire.

En pleine explosion en Afrique, ce modèle se répand très rapidement en Asie du Sud-Est. Pour des entreprises spécialisées dans les systèmes solaires, cela permet d’offrir des possibilités de micro-paiement sans avoir à mettre en place une infrastructure de recouvrement complexe. Par ailleurs, en s’appuyant sur des solutions machine-to-machine et la très bonne couverture GSM disponible dans de nombreux pays en développement, les entreprises peuvent limiter leurs risques financiers, en déconnectant par exemple les systèmes à distance en cas d’impayés. M-Kopa au Kenya ou Simpa Networks en Inde demandent ainsi à leurs clients de rembourser leur système solaire via leurs téléphones portables. Et ça marche !

En Asie du Sud-Est, les seuls acteurs à avoir à ce jour exploré ce type de solution sont TinyPipes aux Philippines, et Kamworks au Cambodge. Au Cambodge, s’appuyer sur les technologies mobiles fait particulière-ment sens, puisque le taux de pénétration des télé-phones est de 115% et que la couverture GSM est très bonne dans la plupart des régions.

C’est pourquoi, avec le soutien de GSMA, Kamworks a développé un système solaire « pay-as-you-go ». L’objectif, c’est d’offrir aux Cambodgiens différentes alternatives répondant à leurs besoins. Aujourd’hui, ils peuvent ainsi décider de louer sans engagement un système solaire. S’ils préfèrent acheter, ils pourront alors rembourser le système en deux ans. Dans tous les cas, les paiements se font très simplement, chaque mois, par téléphone portable (Figure 2).

Figure 2 : Une famille cambodgienne posant à côté de leur système solaire

Pour Kamworks, cette solution est intéressante. Elle lui permet de réduire les coûts de recouvrement, mais aussi d’offrir à ces clients des tarifs plus intéressants que les taux généralement proposés par les instituts de microfinance. Par ailleurs, comme les systèmes sont désormais connectés au réseau GSM grâce à une carte électronique embarquée, Kamworks peut déconnecter les systèmes à distance en cas d’impayés. Surtout, l’entreprise peut collecter des données sur la production électrique et les habitudes de consommation et, ainsi, réaliser de la maintenance prédictive.

Le succès d’un premier pilote de location de systèmes solaires dans la région de Kampong Thom montre l’engouement des Cambodgiens pour des solutions de qualité et qui réduisent leurs risques financier et technique. Au regard de ce qui se passe en Afrique et en Inde, on peut penser que l’attrait pour ces solutions devrait s’accélérer. Les prochaines années promettent d’être passionnantes pour le secteur !

(*) Benoit était responsable de l’activité Systèmes solaires innovants chez Kamworks de 2012 à début 2015.

Sources :
[1] Report on Power Sector of the Kingdom of Cambodia 2012 Edition, Electricity Authority of Cambodia, 2012
[2] Report on Power Sector of the Kingdom of Cambodia 2014 Edition, Electricity Authority of Cambodia, 2014
[3] Map showing the licensee distribution area, Electricity Authority of Cambodia, 2014
[4] Southeast Asia Energy Brief, World Bank, November 2013
[5] The Synergies between Mobile, Energy and Water Access : Asia, GSMA, 2014

Retrouvez également cet article dans le Flash n°44.

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