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Centrales Solaires Haute Température : une expérience renouvelable pas très écolo !

lundi 1er juin 2015, par Patrice Cottet (ECP 74)

Le voyageur qui se rend de Los Angeles à Las Vegas à travers le désert de Mojave par la route voit des choses étonnantes ; les arbres de Joshua, figures emblématiques des Westerns, puis, passé le col de Mountain Clark pass, 70 km avant Las Vegas, il aperçoit au loin trois points lumineux, blancs comme Venus un soir d’hiver, perchés sur des promontoires comme des tees de golf géants. C’est la centrale expérimentale solaire d’Ivanpah, mise en service -ou plutôt en test- début 2014.

Le principe en est simple ; des miroirs plans, appelés héliostats, de 15 mètres carrés chacun, placés sur des rotules mécanisées et pilotées par ordinateur, renvoient les rayons du soleil sur un point fixe, situé en haut d’une tour de 140 m. Cent, mille ? Cent soixante-treize mille miroirs, qui concentrent les rayons du soleil sur trois chaudières en métal, noires comme un corps noir de Kirchoff, mais qui, chauffées par cette myriade de miroirs, apparaissent blanc comme un filament de tungstène, tant la température obtenue est grande. La cuve contient une eau saumurée, qui se vaporise, et actionne un générateur qui produit de l’électricité par le biais du cycle de Rankine ; l’électricité est distribuée sur le réseau, ou stockée dans des batteries pour une alimentation du réseau la nuit ; le matin, pour assurer le redémarrage de la centrale avant les premiers rayons du soleil matinal, on utilise du gaz naturel. La puissance de chaque générateur est de l’ordre de 125 MW. Les trois propriétaires, NRG Energy, Bright Source Energy et Google, vendent leur électricité négociée sur un contrat de 25 ans conclu avec Pacific Gas & Electric, et Southern California Edison.

Les données chiffrées sur ce site sont les suivantes : 2,6 millions de m² de miroirs, pour un total de 173500, soit 15m² par miroir. Le coût de construction est de 2,2 milliards de dollars. Les températures du cycle sont de 560° en sortie de cuve, et refroidies à 250° après le générateur ; le refroidissement est à air par aéroréfrigérants, car même si la température de l’air ambiant peut atteindre 50 °C, c’est suffisant pour refroidir. La production annuelle attendue est de 1 TeraWattheure.

Les indiens Chemehuevi, propriétaires du terrain, se sont rappelés, peu avant la construction, que cette terre était sacrée, et que le coût de location devait être évalué en conséquence…

Après quelques mois de mise en service, un certain nombre de phénomènes se sont avérés plus inquiétants que prévu.
D’abord les phénomènes météorologiques ; la sur-chauffe due à la concentration de chaleur et aux aéroréfrigérants crée une zone de convexion atmosphérique verticale, avec appel d’air à la base ; cet appel d’air crée des vents locaux, parfois violents, apporteurs de sable, qui détruisent les miroirs ou grippent la mécanique d’orientation, et qui déposent leurs poussières sur les miroirs, baissant leur rendement. Cette colonne montante crée, dans certaines conditions, des cumulus ou cumulonimbus, avec apparition d’orages, qui voilent le soleil et apportent de la pluie localement, ou perturbe le trafic aérien. Cette pluie favorise la pousse de végétation, qui, en grandissant, fait masque sur la base des miroirs.

Pour nettoyer les capteurs salis par la poussière, on a fabriqué spécialement trois gigantesques tracteurs munis de rouleaux nettoyeurs. Coût : sept millions de dollars, mais les rouleaux se prennent dans la végétation épineuse, ce qui raye les miroirs.

Il devient rapidement nécessaire de couper cette végétation, et sur les 15 km² du site, cette opération n’était pas budgétée à sa juste valeur. En attente d’une solution, les tracteurs sont à l’arrêt, inutilisables.

Les miroirs sont orientés à rythme régulier, de l’ordre de la minute, créant un doux ronronnement lorsqu’on s’approche des structures. Néanmoins un nombre important reste immobile : par pannes de transmission de commande, enrayement des mécanismes par la poussière, ou renversés par le vent, déréglés, frappés par la foudre… Néanmoins un certain taux de panne était attendu, et le nombre de miroirs avait été surdimensionné de 20%.

L’alternance de température agissant sur les structures métalliques des tours accélère la corrosion, amplifiée par la pluie des orages ; la température peut y atteindre 1500 °C ; en effet même si les structures porteuses ne sont pas directement éclairées par les miroirs, elles reçoivent une partie de l’énergie, soit par conduction, soit par imprécision du réglage de l’orientation des miroirs. Le cycle prévisionnel de maintenance de ces structures est de huit ans, il semble qu’il faille raccourcir ce délai à trois ans ; et un revêtement qui résiste à ces température est extrêmement coûteux. Les concepteurs pensent, pour les prochains projets, construire des tours en béton…sans savoir encore quels phénomènes apparaîtront sur le béton !

Ces trois points lumineux au milieu du désert attirent les insectes volants -le désert n’est pas si désert que ça- qui se brûlent les ailes et sont soit vaporisés, soit tombent au sol. Nourriture providentielle pour de petits insectivores, qui voient leur population exploser. Les oiseaux qui chassent les insectes sont eux aussi attirés par cette zone, et sont soit vaporisés (phénomène appelé Streamers par le personnel local) soit tombent cuits au sol. Un journal local rapporte le chiffre d’un oiseau toutes les deux minutes, en période de migration. Ajouter à cela ceux qui percutent les miroirs, croyant y voir un morceau de ciel, et ceux qui se prennent dans les barbelés des clôtures. (Heureusement pendant ma visite je n’ai pas eu le déplaisir d’assister au phénomène.) Ces cadavres attirent les charognard ou prédateurs, tels que les coyotes, qui trouvent là eux-aussi une nourriture providentielle. Pour cela les sites sont tous entourés de barrières, qu’il faut aussi entretenir, car évidemment les prédateurs creusent des tunnels pour accéder à la manne tombée du ciel.

Pour étudier et essayer de comprendre, puis limiter, ces phénomènes, la centrale est en contrat avec une centaine de biologistes, dont certains sont à demeure sur le site, dans des caravanes climatisées.

Après plusieurs mois d’exploitation, la production annuelle projetée n’est que de 600 GWh, soit 40% de moins qu’attendu ; la consommation de gaz naturel, utilisé comme énergie auxiliaire, a dû être augmentée de 60%, pour couvrir les périodes où l’ensoleillement est insuffisant. Le prix de production serait de l’ordre de 160 $/MWh, soit bien plus élevé que celui obtenu par panneaux photovoltaïques traditionnels (60$ probablement envisageables sur ce site). Le coût annuel de la puissance installée est de 19 000 $ par MW, bien au-dessus des énergies renouvelables alternatives. La technologie utilisée ne permet qu’un très faible stockage de l’énergie, d’où l’énergie complémentaire pour couvrir les baisses de production fonctionnant 5 heures par jour au lieu de 1 heure planifiée.

Conclusion

Cette centrale expérimentale ne semble pas rencontrer le succès escompté ; d’ailleurs les opérateurs parlent toujours d’une centrale expérimentale, et non d’une centrale opérationnelle ; le site internet institutionnel reste bizarrement figé à fin 2013, avant la mise en service… Néanmoins il faut reconnaître aux investisseurs le mérite d’avoir essayé, et lancé cette opération de plus de 2 milliards de dollars sans réelle visibilité. Il est vrai qu’en matière d’énergies en général, et renouvelables en particulier, plus on monte en température, moins le rendement est bon et plus les problèmes techniques sont nombreux.

Photos : © Patrice Cottet 2014

Retrouvez également cet article dans le Flash n°45.

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