Accueil > Publications > Hydrogène, l’heure est venue - (Flash n°66)

Hydrogène, l’heure est venue - (Flash n°66)

jeudi 17 octobre 2019, par Philippe Boucly, président de l’AFHYPAC

« Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » Victor Hugo

AFHYPAC : Association Française pour l’Hydrogène et les Piles A Combustibles

Nombreux sommes-nous à avoir entendu dans le passé que l’hydrogène était un produit formidable et qu’on allait assister dans les dix années à venir à un développement de cette énergie voire même à l’avènement d’une société de l’hydrogène. Il est vrai que l’hydrogène a connu un certain nombre de faux départs et un scepticisme légitime peut être opposé à quiconque se présente à nouveau pour vanter les mérites de cette molécule.

Et pourtant, l’heure de l’hydrogène est venue.

Nous vivons actuellement un changement de paradigme. D’un système centralisé, composé de grosses unités pilotables de production d’électricité, nous allons avec le développement massif des énergies renouvelables (éolien et solaire) vers un système plus décentralisé, digitalisé et décarboné. L’électricité va assurément prendre une place plus importante dans le système énergétique.
Mais l’électricité ne fera pas tout ! : il existe des secteurs difficiles à électrifier, la réduction du minerai de fer, la production de ciment ou les transports lourds par exemple.
Comme l’a montré l’étude réalisée en 2017 par le cabinet McKinsey [1] pour l’Hydrogen Council, l’hydrogène, par son caractère polyvalent, est appelé jouer un rôle majeur dans la transition énergétique, en réalité un double rôle (cf figure ci-dessous) :

-  Permettre la conversion et le stockage des énergies électriques renouvelables (éolien, solaire) par essence variables et par là-même faciliter et contribuer à leur déploiement.
-  Participer à la décarbonation de tous les secteurs de l’économie : les transports, les bâtiments et également l’industrie où l’hydrogène peut constituer une source d’énergie ou une matière première (à condition, évidemment, que l’hydrogène soit produit sans émission de CO2).

En France, les autorités (gouvernementales, régionales, locales) ainsi que les acteurs économiques ont pris la mesure des défis à relever et considèrent l’hydrogène comme l’un des moyens de relever ces défis qui sont devant nous.

La France a désormais une stratégie hydrogène. Le 1er juin 2018, le Ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot a présenté un plan national de développement de l’hydrogène. Ce plan établi sur la base d’un rapport réalisé par la DGEC et le CEA et auquel l’AFHYPAC a contribué [2] fixe trois objectifs :
o Créer une filière industrielle décarbonée.
o Développer des capacités de stockage des énergies renouvelables.
o Développer des solutions zéro émission pour les transports routiers, ferrés, fluviaux, etc.…
14 mesures détaillent ce Plan National Hydrogène. Le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) [3] intègre les objectifs du Plan National et en particulier :
o dans l’industrie 10 % de l’hydrogène industriel doit être décarboné d’ici 2023 et entre 20 et 40 % d’ici 2028.
o dans la mobilité, 5 000 véhicules utilitaires légers (VUL) et 200 véhicules lourds (bus, camions, trains, bateaux) et 100 stations de recharge d’ici 2023, 20 000 à 50 000 VUL, 800 à 2000 véhicules lourds et 400 à 1000 stations de recharge à l’horizon 2028.

La mise en œuvre du Plan National Hydrogène, que l’AFHYPAC copilote aux côtés des pouvoirs publics et du CEA, est en cours actuellement. Cette mise en œuvre comporte essentiellement 3 composantes :

• le Comité Stratégique de Filière « Industries des Nouveaux Systèmes Energétiques », créé le 28 mai 2018, est présidé par Mesdames Isabelle Kocher, DG d’Engie et Sylvie Jehanno, PDG de Dalkia. Il participe au sein du Conseil National de l’Industrie présidé par le Premier Ministre à l’ambition de la France de recouvrer une capacité industrielle significative. Au sein de ce Comité, le rôle de l’hydrogène est clairement reconnu pour apporter des solutions de stockage et, partant, de flexibilité et également pour participer à la décarbonation de l’économie. À noter que l’hydrogène est également présent dans d’autres Comités Stratégiques de filière (Automobile, Ferroviaire, Industriels de la Mer, Métiers de la construction, …)

• Le dispositif des Engagements pour la Croissance Verte. Par contrat (non opposable juridiquement), les acteurs de la filière hydrogène et les représentants de l’administration s’engagent à lever les obstacles et à identifier les leviers du développement de la filière hydrogène. Les groupes de travail constitués à cet effet et animés par l’AFHYPAC s’efforcent notamment d’identifier les barrières législatives, réglementaires ou fiscales qui ralentissent le déploiement des technologies de l’hydrogène, ce travail se poursuivant par l’élaboration de propositions d’évolution de lois et règlements.

Le contrat stratégique de la filière « Nouveaux Systèmes Energétiques » ainsi que deux premiers engagements (mobilité routière et hydrogène décarboné dans l’industrie) ont été signés le 29 Mai 2019. D’autres engagements (notamment celui relatif aux mobilités maritime et fluviale) devraient être signés avant la fin de cette année.

• Le volet financier du Plan consiste, pour l’instant, essentiellement en trois appels à projets (AAP) lancés par l’ADEME, un pour chaque objectif du Plan. L’appel à projets « Ecosystèmes de mobilité » connaît un grand succès puisque dès la première clôture le 11 janvier dernier 24 projets pour un total de 475 MEUR ont été déposés. 11 projets sont actuellement en cours d’instruction. Une deuxième échéance interviendra le 18 octobre et devrait également connaitre un fort succès. Lancé le 25 février dans le cadre du PIA , l’appel à (notamment celui relatif aux mobilités maritime et fluviale) devraient être signés avant la fin de cette année.

• échéance interviendra le 18 octobre et devrait également connaitre un fort succès. Lancé le 25 février dans le cadre du PIA , l’appel à projets « Production et fourniture d’hydrogène décarboné pour des consommateurs industriels » a donné lieu en juin dernier à une demande de soutien pour une dizaine de projets. Enfin, l’AAP relatif au stockage et aux zones non interconnectées (milieux insulaires) devrait être publié prochainement.

Sur le plan législatif en particulier, un grand pas a été accompli avec la loi Energie Climat votée récemment. L’hydrogène, qui jusqu’à présent est encore souvent considéré comme un produit chimique, fait son entrée dans le Code de l’Energie et acquiert le statut de vecteur énergétique. Des dispositions de la loi, à la fois aux plans économique et technique, vont sans aucun doute permettre d’accélérer le déploiement de projets hydrogène. Et notamment l’article 1 de la loi précise : « développer l’hydrogène bas-carbone et renouvelable et ses usages industriel, énergétique et pour la mobilité, avec la perspective d’atteindre environ 20 à 40 % des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 ».

Car nous sommes véritablement entrés dans la phase de déploiement, notamment au plan de la mobilité.
La mobilité hydrogène convient parfaitement pour des usages intensifs (chariots élévateurs, taxis, flottes de livraison) ou réclamant une grande autonomie, de même que pour les transports lourds (bus, bennes à ordures, trains, fluvial). Les collectivités (villes, métropoles, régions) l’ont bien compris qui dès à présent s’engagent, nombreuses, dans cette voie. En matière de bus, une vingtaine de villes ou métropoles ont dès à présent pris cette initiative comme en témoigne la carte ci-dessous.

En matière de transport ferroviaire, des régions se sont engagées : la France aura en 2022 des trains à hydrogène construit par Alstom.
Plus généralement, VIG’HY [4] sur le site de l’AFHYPAC recense l’ensemble des projets qui se développent en France.

Au-delà de la lutte contre le changement climatique et de la recherche d’une meilleure qualité de l’air par la réduction des polluants atmosphériques et des particules fines, l’enjeu est également industriel et là également, l’hydrogène a une carte à jouer.
La France dispose de champions sur l’ensemble de la chaîne de valeur : grands groupes capables de porter des projets d’envergure, PME-PMI, ETI, start-up exprimant l’inventivité et l’agilité nécessaires dans ce monde en rapide mutation, centres de recherche d’excellence capables de permettre à la France de garder son avance dans ce domaine.

Les industriels français se mobilisent.

Les énergéticiens (ENGIE, EDF, TOTAL, AIR LIQUIDE, AKUO Energie, Valorem) ont tous des projets dans l’hydrogène. Les équipementiers automobiles s’organisent : Michelin et Faurecia se sont rapprochés pour faire de Symbio un fournisseur de premier plan dans le domaine de l’hydrogène pour la mobilité. PSA annonce des modèles hydrogène pour 2021 et les déclarations de Jean Dominique Sénart à la tête de Renault laissent penser que l’entreprise s’impliquera prochainement plus fortement. Des entreprises de moindre taille, et notamment le constructeur de bus SAFRA à Albi ou PVI en région parisienne, sont prêts à lancer des chaînes de production dès lors que les commandes seront identifiées.

Du point de vue de la R&D, les acteurs de la filière s’organisent également dans le cadre du projet IFHY (Initiative France Hydrogène) avec pour objectif de poursuivre les efforts d’innovation et rester une filière française d’excellence. À court terme, se développe le projet H2LAB qui consiste à mutualiser les moyens d’homologation et de certification disponibles sur le territoire national afin d’accélérer la mise sur le marché des produits en évitant le recours à des centres d’essais étrangers après bien souvent de longs délais d’attente.
Cette prise de conscience du rôle majeur que peut jouer l’hydrogène pour relever les défis et cette dynamique que nous vivons actuellement se ressentent aussi au plan mondial.
Fin Juin, l’AIE a présenté aux membres du G20 réunis à Tokyo un rapport [5] démontrant tout l’intérêt de développer l’hydrogène et ses technologies.
Plus récemment, l’IRENA a publié un rapport dans le même sens pour le 2nd Hydrogen Energy Ministerial Meeting qui s’est tenu à Tokyo le 25 septembre dernier.

Dans le monde, les nations se mobilisent :

o Au Japon, le Premier Ministre Shinzo Abe veut faire de son pays la première « société de l’hydrogène » au monde et a présenté le 26 Décembre 2017 un Plan Stratégique pour le développement de l’hydrogène [6]. Les Jeux Olympiques à Tokyo l’an prochain seront l’occasion pour les Japonais de montrer au monde l’avancement des technologies hydrogène qu’ils ont développées.

o En Chine, dès 2015, avec le programme « Made in China 2025 », 10 secteurs prioritaires dont les véhicules à combustibles alternatifs ont été identifiés. À l’automne 2016, la Roadmap technologique de l‘hydrogène a été intégrée au 13eme Plan Quinquennal. En février 2018 s’est créée la « China Hydrogen Alliance » présidée par China Energy, la plus grande compagnie électrique du pays et le 26 mars dernier, l’annonce était faite d’une réduction de 67% des aides accordées aux véhicules à batterie (suppression complète prévue après 2020) pour consacrer totalement ces aides à l’hydrogène.

o La Corée du Sud a lancé début 2019 un grand plan en faveur des véhicules hydrogène. 80 000 véhicules devraient circuler en 2022 avec un objectif de 1,8 million en 2030. Parallèlement, l’hydrogène servira au stockage des énergies renouvelables : le gestionnaire des réseaux gaziers Korea Gas compte investir 3,6 GEUR pour assurer la production et la distribution de l’hydrogène.

o L’Australie de son côté souhaite devenir un hub international grâce à ses importantes capacités d’énergie renouvelable (également ses réserves de charbon avec production de l’hydrogène par vaporeformage et captage et séquestration ou utilisation du CO2) et ainsi exporter l’équivalent de plusieurs dizaines voire centaines TWh sous forme d’hydrogène.

o Les Etats-Unis, et notamment la Californie, comptent dès aujourd’hui plus de la moitié de la flotte mondiale de véhicules hydrogène.

L’Europe n’est pas en reste !

Depuis longtemps, les technologies de l’hydrogène sont soutenues au plus haut niveau européen par le FCH-JU , partenariat public-privé entre les organes de la Commission et les industriels et centres de recherche européens. Le FCH-JU a financé l’essentiel des démonstrateurs développés actuellement en Europe. Au niveau européen, l’ensemble des technologies de l’hydrogène sont reconnues comme une chaîne de valeur stratégique. Les discussions en cours à Bruxelles visent à donner à l’hydrogène un statut particulier afin d’accélérer le déploiement de solutions que tous s’accordent à trouver très prometteuses.

o En Allemagne, à la mi-juillet, Peter Altmaier, le ministre allemand de l’Economie a déclaré : « Nous voulons devenir le numéro un mondial sur les technologies de l’hydrogène » et a décidé d’attribuer 100 MEUR par an à 20 démonstrateurs associant industrie et recherche. Les industriels allemands se mobilisent : Siemens va créer en Saxe un centre de compétences dédié à l’hydrogène, Bosch s’associe au suédois Powercell pour produire en série des piles à combustible, Thyssenkrupp étudie avec Air Liquide l’utilisation d’hydrogène dans ses hauts fourneaux, les opérateurs d’infrastructures électrique et gazière envisagent des projets de taille significative ( de l’ordre de 100 MW ) afin de contribuer à la stabilité du réseau électrique, à limiter le délestage d’électricité éolienne ou au trading d’énergies.

o En Grande-Bretagne, le projet H21 Leeds City Gate vise à convertir à l’hydrogène tout le réseau de gaz naturel de la région (près de 3,7 millions de logements). Il comprend des unités de vaporeformage associées à une séquestration du CO2 dans des champs offshore du Yorshire ainsi que des cavités salines pour un stockage massif de l’hydrogène.

o Aux Pays-Bas, le Northern Netherland Innovation Board propose un vaste plan de développement de l’hydrogène dans la région de Groningue [7]. Le projet profiterait de 4 GW d’éolien offshore néerlandais (1 GW d’électrolyseurs) auxquels s’ajouterait 1 GW de biomasse. L’hydrogène produit alimenterait les transports (bus, trains, transports fluviaux et maritime) ainsi que la plateforme industrielle de Rotterdam.

En conclusion, les qualités et la polyvalence de l’hydrogène en font le vecteur des possibles. Capable de relever les défis qui se posent au niveau des territoires : changement climatique, qualité de l’air, gestion des déchets, emploi, ré-industrialisation, l’hydrogène est dès à présent appelé à jouer un rôle majeur dans ce monde qui vient.
Cette prise de conscience, récente, est désormais universelle. La France, grâce à son tissu industriel et son potentiel de recherche a des atouts de premier plan.
Il nous faut désormais amplifier les efforts déployés depuis quelques années, accélérer, changer d’échelle, les bénéfices que peut nous apporter ce vecteur énergétique sont à ce prix.
L’heure est venue !

Bibliographie

1- Hydrogen Council – Scaling up – Novembre 2017
http://hydrogencouncil.com/wp-content/uploads/2017/11/Hydrogen-scaling-up-Hydrogen-Council.pdf
2- Afhypac, CEA et Air Liquide, Alstom, EDF, Engie, Hyundai, Faurecia, Michelin, Plastic Omnium, SNCF, Total, Toyota - Développons l’hydrogène pour l’économie française – Mars 2018
http://www.afhypac.org/documents/actualites/pdf/Afhypac_Etude%20H2%20Fce_VDEF.pdf
3- Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire – Dossier PPE – 25 Janvier 2019
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Projet%20PPE%20pour%20consultation.pdf
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Synth%C3%A8se%20finale%20Projet%20de%20PPE.pdf
4- Vig’Hy : la plateforme des projets hydrogène en France
https://www.vighy-afhypac.org
5- Agence Internationale de l’Energie – « The Future of Hydrogen – Seizing today’s opportunities » Report prepared by the IEA for the G20, Japan
https://www.iea.org/publications/reports/thefutureofhydrogen/
6- IFRI – Monica Nagashima - Stratégie hydrogène du Japon – Octobre 2018
www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/japans-hydrogen-strategy-and-its-economic-and-geopolitical-implications
7- Northern Netherland Innovation Board –The Green hydrogen economy in Northern Netherland – Octobre 2017
http://verslag.noordelijkeinnovationboard.nl/uploads/bestanden/dbf7757e-cabc-5dd6-9e97-16165b653dad/3008272975/NIB-Hydrogen-Full_report.pdf

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.