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La sûreté nucléaire en France : avant et après Fukushima

lundi 1er octobre 2012, par Jean-Claude Bordier (ECLy 69), Sébastien Charreire (ECLi 01)

Compte-rendu de la conférence du 14 Juin 2012 de Martial Jorel (IRSN)

L’accident majeur de la centrale nucléaire de Fukushima, consécutif au séisme et au tsunami qui a ravagé la région de Sendaï, a débouché sur une situation inimaginable a priori. Cette catastrophe repose donc la question fondamentale de la sûreté des installations nucléaires et de la maîtrise du risque nucléaire.
Martial Jorel, Directeur du Management des connaissances à l’IRSN (Institut de Radioprotection et Sûreté Nucléaire), était Directeur de la Sûreté des Réacteurs à l’époque de la catastrophe de Fukushima. Dans ce cadre, il a été amené à conduire, à la demande de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (A.S.N.), les Etudes Complémentaires de Sûreté (ECS) menées au sein de cet institut. Martial Jorel est intervenu le 14 juin dernier [1] pour présenter la manière dont cet accident remet en perspective l’approche et les dispositions de sûreté existantes et conduit à améliorer encore ces dispositions.

L’IRSN, qu’est-ce que c’est ?

L’IRSN est un établissement public français chargé de remplir trois grandes missions :

  • Recherche et service publics : définition et mise en œuvre de programmes de recherche nationaux et internationaux, contribution à la formation et à l’enseignement en radioprotection, veille permanente en matière de radioprotection et contribution à l’information du public
  • Appui et concours techniques aux autorités publiques,
  • Prestation contractuelle d’expertises, dans un cadre européen, pour expertiser les réacteurs étrangers, prestations d’études et de mesures…

L’IRSN intervient sur un large domaine d’activité, et notamment le domaine de la sûreté nucléaire (réacteurs, cycle du combustible, déchets…). Dans ce cadre, son ambition est de faire avancer la sûreté nucléaire et la radioprotection dans toutes ses dimensions : technique et scientifique, économique, réglementaire, sociétale et internationale.

La construction du système de sûreté nucléaire

Le système de sûreté nucléaire émerge dès les années 1950, d’abord aux USA. A cette époque, certains points font l’unanimité :

  • Le risque zéro n’existe pas ;
  • Il faut avoir une approche probabilité / conséquence. La probabilité d’un accident doit être minimisée et les impacts limités en cas d’occurrence d’un accident ;
  • Les installations sont si complexes qu’il faut mener des études de sûreté sans attendre des retours d’expérience.
    La sûreté nucléaire en France fut à l’origine placée sous la responsabilité du CEA. La gestion de la sûreté a ensuite progressivement évolué pour en 2006 s’articuler autour de 4 acteurs majeurs : l’ASN, l’IRSN, les concepteurs / constructeurs / exploitants et enfin la société civile.

Les principes de sûreté

Une installation présente des dangers potentiels, d’origine interne à l’installation ou externe (chute d’avion, phénomènes climatiques…). Il convient de mettre en place un dispositif pour minimiser les risques d’occurrence de ces dangers et leurs impacts s’ils sont avérés. Pour cela, il faut s’efforcer de bien connaître tous les risques potentiels, les dispositions et systèmes de sûreté ainsi que la vie réelle des installations.
La sûreté commence en amont de la conception de l’installation (études de sûreté), et s’étend durant sa conception / construction / exploitation… jusqu’à son démantèlement. Elle passe par la conduite d’études de sûreté, de Recherche & Développement et se doit de prendre en compte non seulement les aspects techniques mais aussi les aspects liés au facteur humain.
La sûreté nucléaire vue de l’installation consiste à :

  • Interposer entre l’environnement et les produits radioactifs dangereux une série de barrières étanches et résistantes ;
  • Assurer la tenue de ces barrières dans les situations d’exploitation (normales, incidentelles, accidentelles)

Dans un réacteur nucléaire, la gaine du combustible (1ère barrière) doit permettre de contrôler la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du combustible. Le circuit primaire (2ème barrière) permet de maintenir l’inventaire en eau [2], de refroidir l’eau par échange thermique et d’assurer le confinement de l’eau primaire. Enfin, l’enceinte de confinement (3ème barrière) doit permettre de maintenir le confinement des produits radioactifs dans toutes les situations, de dépressuriser l’enceinte pour évacuer sa puissance [3].
Pour éviter la défaillance des barrières ou pour limiter les conséquences de leur défaillance, il faut assurer trois fonctions de sûreté : le contrôle de la réactivité, le refroidissement du combustible et le confinement des produits radioactifs.

Tous les accidents susceptibles de se produire n’ont pas la même probabilité d’occurrence ni les mêmes conséquences. Deux exigences sont donc posées :

  • Plus un accident est probable, plus ses conséquences doivent être limitées.
  • Plus un accident a des conséquences graves, moins il doit avoir de « chances » de se produire.

Afin d’assurer une continuité entre ces deux exigences, un domaine de situations « interdites » est défini.

Dans les années 1970, 3 niveaux de sûreté ont été définis :

  • Niveau 1 : Prévention des fonctionnements anormaux et des défaillances
  • Niveau 2 : Contrôle des fonctionnements anormaux et des défaillances
  • Niveau 3 : Contrôle des accidents de dimensionnement
    Dès cette époque, les aléas externes tels que les séismes et inondations sont pris en compte.

Les accidents graves de Three Mile Island (TMI) en 1979 – fusion du cœur avec peu de rejets - et de Tchernobyl en 1986 – Explosion du cœur avec des rejets très importants - ont alors beaucoup apporté à la démarche de sûreté. Le système de sûreté nucléaire passe alors de 3 à 5 lignes de défense :

  • Niveau 4 : Dispositions complémentaires et gestion des accidents graves
  • Niveau 5 : Contre-mesures de protection de la population (évacuation, confinement…)

En France, la politique de sûreté a toujours été d’analyser tous les incidents et accidents, en France ou à l’étranger, pour en tirer des enseignements pour la conduite des installations existantes. Ceci est favorisé par la politique des paliers (types de centrales) mise en œuvre par E.D.F..
A titre d’exemple, suite à l’inondation partielle des locaux ayant affecté la centrale du BLAYAIS en 1999, des initiateurs supplémentaires ont été pris en compte dans les analyses : analyse de la protection des équipements et des locaux, évolution de la méthodologie de protection… Il en est de même pour ce qui concerne les séismes : évaluation de l’aléa, prise en compte des paléoséismes (analyse dans le sous-sol des traces de séismes non relatés dans les écrits)…

Toutes ces évolutions amènent à des modifications des installations.

Les réexamens de sûreté

Les examens de sûreté décennaux permettent de :

  • Comparer la sûreté de l’installation à son niveau de sûreté initial, à celle des paliers en exploitation les plus récents,
  • Définir le lot de modifications décennales,
  • Effectuer un examen de conformité et corriger les écarts,
  • Se prononcer sur l’aptitude à poursuivre l’exploitation pour les 10 ans à venir.
    Ces réexamens sont une exigence réglementaire en France et constituent un complément aux examens de sûreté réalisés lors de la mise en service des tranches. Ils permettent notamment d’évaluer les domaines pour lesquels le retour d’expérience apporte peu d’enseignements. D’autre part, ils s’appuient sur les constats réalisés lors des inspections qui ont lieu régulièrement entre deux examens décennaux (plusieurs fois par an ou en cas d’incidents / accidents).

Les Evaluations Complémentaires de Sûreté (ECS) post Fukushima

L’accident de Fukushima a permis de constater « à chaud » les dysfonctionnements suivants :

  • Dimensionnement inapproprié de la centrale face à certaines agressions naturelles,
  • Pertes durables du refroidissement et des alimentations électriques,
  • Défaillances affectant toutes les installations d’un site – difficultés de la gestion à long terme.
    A l’issue de cet accident, des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) ont été menées en France [4] et ont conduit à des propositions qui concernent tous les volets de l’évaluation :
  • Eviter la perte d’une fonction fondamentale de sûreté
  • Eviter la survenue d’une situation redoutée
  • Existence d’une possibilité de gestion d’un accident grave dans des situations extrêmes

Les ECS ont mis en exergue que les aléas peuvent être bien plus conséquents que ceux prévus initialement, et peuvent porter sur tout un site sur une longue durée. Elles conduisent donc à faire évoluer la défense en profondeur :

  • Réévaluation du niveau d’aléa sur les niveaux 4 et 5 de la défense en profondeur,
  • Définition d’un noyau dur, qui doit, en cas d’aléas extrêmes, être protégé à l’égard des éventuels événements induits (incendie, explosion, chute de charge…)
  • Prise en compte des interventions humaines en situations accidentelles
    Il apparaît également nécessaire de compléter les référentiels de sûreté actuels dans certains domaines, notamment la caractérisation des mouvements sismiques, les combinaisons d’agressions à prendre en compte (externes, internes), …
    Exemple : prise en compte d’un aléa sur une tranche à un aléa sur plusieurs tranches en simultané

Conclusion

La sûreté des installations fait véritablement l’objet d’une amélioration continue. Elle s’appuie sur les retours d’expérience ainsi que sur les réexamens de sûreté. Elle prend en compte les réflexions sur les objectifs de sûreté (dans le cadre de l’extension de durée de fonctionnement des installations par exemple) ainsi que les évolutions des règles et doctrines suite à des accidents tels que Fukushima.
L’accident de Fukushima a induit de nombreux questionnements et inquiétudes de la part de la société civile. Face à cette situation, il est plus que jamais nécessaire d’écouter la société, ses préoccupations, ses craintes, d’assumer les incertitudes et les risques, de développer les connaissances et d’innover, et bien évidemment d’accroître les vigilances.
La sûreté est au cœur du patrimoine nucléaire national. Elle en définit la valeur et conditionne l’avenir de cette industrie. A ce titre elle motive l’innovation. La sûreté nucléaire ne peut procéder que de la volonté de la nation, consciente de l’enjeu. Elle est mise en œuvre par chaque acteur concerné.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°31.


[1Conférence organisée par le Groupement des Techniques Avancées et Nucléaires de l’AECP et le Groupe Professionnel Centrale Energies

[2On parle d’ « inventaire en eau primaire » et d’ « inventaire en eau des générateurs ». Il faut contrôler que la « quantité d’eau » aux différents endroits de l’installation reste la même de manière à sécuriser la fonction que cette eau doit couvrir et donc à garantir le bon fonctionnement et la sûreté de l’installation.

[3Si en cas d’accident, des gaz sont produits dans l’enceinte, il faut pouvoir les évacuer pour éviter une explosion - comme cela s’est produit à Fukushima. Il faut pouvoir relâcher notamment l’hydrogène. Mais pour relâcher les gaz contaminés il faut avoir mis en place des filtres. Cela a été fait sur toutes les centrales françaises.

[4Les ECS ont été conduites par l’IRSN à la demande de l’ASN.

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