Stockage des énergies renouvelables : de la maison autonome en énergie à la transition énergétique
samedi 1er juin 2013, par
Cet article reprend les principaux thèmes abordés lors la conférence Centrale-Energies du 17 avril 2013 animée par Marion Perrin, responsable du laboratoire de stockage de l’électricité au sein de l’Institut National de l’Energie Solaire (INES).
Les réseaux de transport et de distribution de l’électricité ont été conçus dans un contexte de centralisation de la production d’électricité à partir d’un nombre limité de sites à la puissance connue et pilotable. Le développement massif de la production d’électricité d’origine renouvelable (ENR), à la fois décentralisée sur l’ensemble du territoire, faiblement prévisible et par nature incontrôlable et intermittente, rend plus délicats la gestion de l’équilibre à chaque instant entre production et consommation électriques sur le réseau comme le maintien de la qualité du courant dans les seuils réglementaires. Les problématiques d’ajustement Production/Consommation et les solutions à mettre en œuvre sont multiples et doivent s’analyser aux différents niveaux du réseau électrique (production, transmission, distribution, consommation). Dans tous les cas, le stockage d’énergie apparaît comme une solution transversale envisageable, voire indispensable, bien que la multiplicité des modèles d’affaires et l’influence de réglementations évolutives, voire imprévisibles, en rendent les bénéfices délicats à valoriser pour les nombreux acteurs économiques impliqués.
D’un point de vue purement technique, le stockage des ENR est pourtant devenu incontournable dans les réseaux des îles (Corse, DOM-TOM) par définition non interconnectés, les gestionnaires de réseaux étant autorisés à déconnecter toute ferme ENR de puissance supérieure à 100 kW lorsque la puissance photovoltaïque (PV) instantanée injectée sur le réseau dépasse le seuil de 30% de la puissance appelée au même moment. Ainsi, l’exploitant d’une centrale PV non équipée de stockage verra son outil de production (et donc son capital) inutilisé et son retour sur investissement dégradé. Allant plus loin dans l’assimilation des fermes PV à des centrales traditionnelles, les appels d’offre de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) exigent désormais une nouvelle catégorie de centrales photovoltaïques équipées de systèmes de stockage d’énergie permettant d’exiger de la part des exploitants un engagement prévisionnel à 24 h de quantité d’énergie PV injectée dans le réseau selon des rampes de montée/descente et des puissances maximales prédéfinies, tout écart conduisant à la facturation de pénalités contractuelles. Dans ce contexte, les systèmes de stockage deviennent simplement indispensables, les modélisations réalisées par l’INES aboutissant à un dimensionnement optimal de 600 kWh utiles par MW installé.
Les solutions de stockage des ENR permettent également d’apporter des éléments de réponse à la gestion des pics de consommation aux heures de pointe qui, année après année, ne cessent d’augmenter dans une consommation moyenne relativement stable, phénomène qui sera amplifié par le développement du parc de véhicules électriques (VE). Pourquoi pas, d’ailleurs, utiliser les VE en charge sur le réseau comme autant de systèmes de stockage susceptibles d’être pilotés à distance et capables de soutenir le réseau ? C’est le concept de Vehicle-to-Grid (V2G) sur lequel les études se multiplient.
Pour le particulier, l’écart entre tarif de rachat de l’énergie PV et tarif d’achat du kWh traditionnel (37 centimes contre 12 centimes) est encore trop important en France pour inciter au développement massif de l’autoconsommation domestique. Il en va tout autrement en Allemagne où cet écart est inversé (15 centimes par kWh pour l’électricité PV contre 22 à 25 centimes venant du réseau). Sans surprise, les systèmes de stockage domestique s’y multiplient, de plus en plus de foyers allemands préférant auto-consommer en totalité leur production PV avant d’en ré-injecter le surplus sur le réseau. Conséquence mécanique et vertueuse, les pics d’appel de puissance aux heures de pointe s’en trouvent réduits d’autant. Une expérimentation de grande ampleur menée en Corse dans le cadre du programme franco-allemand Solion a permis de démontrer qu’une habitation équipée d’un champ PV dimensionné pour couvrir en moyenne la consommation domestique annuelle voyait son auto-consommation passer de 30% sans stockage (alimentation « naturelle » des consommateurs fonctionnant en journée) à plus de 60% une fois équipée d’une batterie.
Les sites autonomes non raccordés au réseau ont constitué les premières applications historiques du stockage des ENR, et en demeurent de grands utilisateurs. La continuité de l’alimentation des con-sommateurs en sites isolés ne pouvant se faire sans stockage local, des niveaux de coût relativement élevés (de l’ordre de 0.50 €/kWh) sont longtemps restés acceptables pour ces installations. Il en va autrement des grands champs ENR raccordés au réseau qui exigent un stockage plus court et de plus forte puissance à des coûts compatibles avec d’autres solutions de gestion de l’offre et de la demande (démarrage de centrales à gaz, par exemple). Pour ces applications, le coût de stockage acceptable se situe en dessous de 0.10 €/kWh et l’objectif final est autour de 0.05 €/kWh. Les solutions actuelles en sont encore loin, ce qui justifie l’intensité des programmes de R&D partout dans le monde.
Les technologies de stockage électrochimique sont nombreuses et fortement différenciées, comme en témoigne le diagramme de Ragone Puissance/Energie : au Plomb (la plus ancienne), au Nickel (associé au Cadmium, aux hydrures métalliques, au Zinc), au Lithium, au Sodium (Sodium-Soufre, Sodium-Chlorure de Nickel). En ce qui concerne les technologies Lithium, les plus médiatisées (à juste titre, compte tenu de leurs performances) les premiers travaux de R&D ont commencé dans les années 70. Au début des années 80 apparaissaient les batteries à électrode négative au Lithium métal et à électrolyte polymère. C’est l’origine de la technologie Bolloré/Batscap produite aujourd’hui de façon industrielle, notamment pour les Blue Cars du programme Auto’Lib.
Les technologies à ions Lithium (anglicisées sous la terminologie Lithium-ion) furent développées dans les années 80 et sont actuellement les plus diffusées. Leur électrode positive utilise des oxydes de métaux lithiés (Cobalt, Nickel, Manganèse ou un mélange des trois dans des proportions variables) et des phosphates métalliques (principalement de fer). Leur électrode négative utilise des feuillets de graphite (ou du carbone) ou encore des titanates de Lithium ou des composés Silicium/Carbone. Les performances de ces différentes technologies Lithium sont bien différenciées, tant en densité d’énergie qu’en durée de vie, caractérisée non seulement en nombre de cycles de charge/décharge mais aussi en vieillissement dans le temps (dit calendaire), lui-même accéléré par la température. L’optimisation de la performance d’une batterie au Lithium est ainsi le résultat d’une stratégie de gestion complexe dépendant de nombreux paramètres : nombre de cycles, profondeur de décharge, puissance de charge et de décharge, températures de fonctionnement, conditions de stockage prolongé... Paramètres trop souvent mal pris en compte dans nombre d’applications industrielles, ce qui nous permet de reprendre le mot de la fin de notre conférencière Marion Perrin : « Une batterie ne meurt pas, elle est assassinée ! »
Retrouvez également cet article dans le Flash n°35.