Les Certificats d’Economies d’Energie (CEE) ou Certificats Blancs : le levier des économies d’énergie en FRANCE
dimanche 1er mai 2011, par
L’Union européenne a adopté en 2008 un plan Énergie-Climat avec un objectif de réduction de consommation d’énergie de 20 % en 2020 par rapport à 1990.
Les trois grands secteurs de consommation définis sont ainsi :
– les installations de combustion de grande taille, type cimenteries, raffineries… grandes consommatrices d’énergie, pour lesquelles a été mis en place le marché des quotas carbones (cf. flash 21),
– les transports : terrestres, ou aériens,
– les autres acteurs du secteur « diffus », l’habitat (bureaux, et particuliers), les petites usines, l’agriculture, etc…
Répartition des consommations en % d’énergie finale consommée en France en 2009, source INSEE
Sidérurgie | 2,70% |
Industrie | 18,70% |
Résidentiel-tertiaire | 44,0% |
Agriculture | 2,60% |
Transports | 31,90% |
Le secteur diffus doit fournir un effort de réduction de 10 % en 2020 versus 2005, mais l’Europe délègue aux pays la façon d’atteindre leurs obligations.
Les Certificats d’Économies d’Énergie entrent dans la phase 2
1. définition des CEE
Les CEE, créés en 2005 par la loi POPE (loi de Programme fixant les Orientations de la Politique Énergétique), qui visent en premier lieu les économies d’énergie, sont entrés dans leur seconde période d’application au 01/01/2011, pour 3 ans.
Bien que des systèmes portent un nom analogue en Angleterre et en Italie, c’est un dispositif franco-français dans ses modalités.
a. La philosophie du dispositif :
Ce système oblige les vendeurs d’énergie « de chauffe » (électricité, gaz, chaleur, froid et fioul domestique…) à réaliser des économies d’énergie auprès de conso-mateurs d’énergie, et ceci au prorata de leurs ventes. Ce « prorata » est défini et calculé par la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat) l’objectif étant de placer la France en matière de consommation d’énergie sur le chemin des objectifs 2020 définis par le Grenelle de l’environnement. Ce chemin doit-il être linéaire, ou est-ce plutôt une courbe exponentielle ?… La détermination de ce « prorata » par énergie fut en tout cas le résultat d’un long processus de concertation avec les fournisseurs d’énergie.
Ces actions d’économies d’énergie doivent concerner des opérations qui ne sont pas dues à la mise en place de nouvelles réglementations. Par exemple, les lampes basse consommation, maintenant qu’elles sont obligatoires, ne sont plus éligibles au dispositif CEE, sauf pour celles qui permettent une économie d’énergie bien supérieure à la moyenne des technologies disponibles sur le marché.
En plus, les fournisseurs d’énergie doivent mettre en place des économies d’énergie qui ne s’inscrivent pas dans leur activité « habituelle » … critère subjectif laissé au libre arbitrage de la DGEC pour valider ou non, au titre du dispositif CEE, ces économies d’énergies. D’où par exemple la création d’EDF Bleu Ciel, de GDF Dolce Vita, développant des conseils et proposant des solutions de maitrise de l’énergie pour l’habitat, alors que ce n’est pas le métier de base d’EDF et GDF.
Pour s’acquitter de cette obligation, les vendeurs d’énergie doivent, soit mener des actions permettant d’obtenir des CEE, soit en acheter.
Puisqu’il s’agit d’un dispositif ciblant principalement le secteur diffus, le calcul des obligations se base sur les ventes d’énergie à destination du secteur tertiaire et des ménages. Mais on peut exploiter les économies d’énergie réalisées dans tous les secteurs, y compris l’industrie, l’agriculture, les trans-ports, ...
Le non respect de cette réglementation est sanctionnée par une pénalité financière de 2 c€/kWh cumac, ou de 2 €/MWh cumac *. Pour les vendeurs de carburants, les nouveaux venus en tant qu’obligé dans le dispositif, cette pénalité représente une épée de Damoclès équivalente à 12 cts par litre de carburant vendu.
b. Les opérations d’économie d’énergie :
L’ADEME valide des « fiches standardisées » d’économies d’énergie pour tout un catalogue d’actions (plus de 210, Bâtiment, Transport, Industrie, Agriculture…), qui définit dans quelles conditions et pour quel montant une opération d’économies d’énergie peut donner lieu à délivrance de CEE. 80% des fiches actuelles sont liées au secteur du bâtiment. Le transport et l’agriculture sont pour l’instant les moins bien dotés en termes de fiches CEE. A noter qu’en moyenne la durée de vie des 210 fiches actuelles est de 13,5 ans. Les économies d’énergie réalisées dans le cadre du cycle de vie d’un produit n’entrent pas dans le dispositif.
Le dispositif CEE se concentre sur les économies d’énergie faites dans la phase d’utilisation. Il ne concerne donc ni la diminution de la quantité d’énergie utilisée pour produire ce produit ou ce service, ni la substitution de cette énergie par une énergie renouvelable.
Il faut ensuite prouver la mise en place réelle de l’action d’économies d’énergie pour pouvoir créditer l’économie d’énergie associée dans la fiche. C’est cette étape qu’on appelle la délivrance de Certificats d’Économies d’Énergie. Cette étape est gérée et coordonnée par la DGEC, l’instruction et la délivrance des CEE se faisant au niveau de la DRIEE et des DREAL.
La deuxième période du dispositif, qui a commencé en janvier 2011, cf. paragraphe 3, introduit en plus une nouvelle contrainte pour la délivrance des CEE, puisque le fournisseur d’énergie doit maintenant prouver à l’Administration son rôle incitatif et actif.
c. EMMY, le micro marché des CEE
EMMY, le registre des CEE, permet en théorie de faire des transactions de compte à compte de CEE, un embryon de marché des CEE, comme une bourse d’échanges.
Mais Emmy n’est pas un vrai marché, car il est très étroit, avec très peu de flux, qui plus est non pondéré par les volumes. D’autant que les CEE produits « dans la vraie vie » par les obligés, afin de remplir leur obligation, et non cédés à un autre acteur, n’apparaissent pas.
En plus depuis le 1er janvier, seuls les obligés, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux peuvent déposer des CEE. Ce qui réduit mécaniquement encore plus le marché des CEE.
Le marché est donc aujourd’hui surtout autour de la collecte des éléments de preuves par les obligés (ce qui ne se voit pas dans Emmy) et plus trop autour des CEE eux-mêmes.
2. Bilan de la première période 2006-2009
Introduit en 2006, le mécanisme des certificats d’éco-nomie d’énergie a connu un succès certain. Le nombre de certificats inscrit au registre national a en effet dépassé largement l’objectif triennal visé.
Pour la première période, du 1er juillet 2006 au 30 juin 2009, l’objectif était de 54 TWh cumac, soit une pénalité potentielle, finalement évitée, pour les fournisseurs d’énergie, d’un peu plus d’un milliard d’euros. Au total, au 30 septembre 2009, le bilan des CEE enregistrés pour la première période s’élevait à 84,5 TWh cumac, selon la DGEC.
L’ADEME et la DGEC estiment que les fournisseurs d’énergie, « les obligés », ont du engager environ 210 M€, investis dans des économies d’énergie, pour respecter leur obligation. Les CEE ne constituant qu’un bonus, d’une valeur moyenne de 5 à 10% par rapport à l’investissement nécessaire pour acquérir un équipement éligible au dispositif, toujours selon l’ADEME, les ménages français auraient environ investi 39 Mds€ dans les travaux d’économies d’énergie donnant lieu à CEE (isolation, systèmes thermiques, éclairage …).
83,8 % des actions ayant donné lieu à des CEE ont été réalisées dans le secteur résidentiel, en maison individuelle comme en logements collectifs. Ces actions ont en effet surtout concerné le changement de chaudières, individuelles ou collectives, à condensation ou à basse température… On y trouve aussi les pompes à chaleur, les appareils à bois et l’isolation (combles, murs, fenêtres).
L’ADEME estime que la première période du dispositif CEE a permis une réduction de 0,95 % de la consommation d’énergie du secteur résidentiel et tertiaire. A mettre en perspective avec l’objectif de réduction de 38 % de la consommation énergétique dans ce même secteur d’ici à 2020 prévu par le Grenelle de l’Environnement.
3. La nouvelle période 2011-2013 :
Après une période transitoire, la deuxième période modifie non seulement les seuils, mais élargit le spectre des acteurs du dispositif et modifie ainsi le système des certificats d’économies d’énergie.
a. Les nouvelles obligations
La nouvelle période 2011-2013 a pour objectif 345 TWh cumac (même si grâce à la période transitoire les obligés ont déjà 180 Twh d’avance). Ce qui représente tout de même un risque financier de 6,9 Mds€ pour les fournisseurs d’énergie s’ils devaient s’acquitter de leur obligation au prix de la pénalité.
C’est une modification d’échelle ! D’une part, l’obligation est 5 fois plus grande, 255 TWh cumac, pour les entre-prises déjà soumises à obligation au cours de la première période.
Et d’autre part, on prend en compte une nouvelle énergie pour le calcul de l’obligation, le carburant, ce qui rajoute 90 Twh cumac d’obligation. Du coup les vendeurs de carburant font leur entrée dans le dispositif en tant que nouveaux fournisseurs d’énergies obligés.
Sont définis comme « obligés » dans le cadre de cette nouvelle loi :
– pour l’électricité, le gaz naturel, le fioul domestique, le GPL et les réseaux de chaleur et froid, le fournisseur d’énergie uniquement pour ses ventes d’énergie aux ménages et aux entreprises du secteur tertiaire. Sont donc exclues les ventes aux secteurs primaire (agriculture et pêche) et secondaire (industrie, BTP,..…).
– pour les carburants, l’entrepositaire agréé qui met du carburant à la consommation c’est-à-dire le distributeur, quelle que soit la nature du client. Cela concerne une quarantaine de distributeurs et importateurs, dont les pétroliers et les enseignes de grandes surfaces.
b. Le rôle « actif et incitatif » du fournisseur d’énergie
Le dispositif change aussi dans ses modalités, pour contraindre les fournisseurs d’énergie à être partie prenante en amont des actions d’économies d’énergie.
En pratique pour obtenir des CEE, le demandeur de CEE doit prouver qu’il a eu un rôle incitatif et préalable dans une opération d’économies d’énergie dont il doit par ailleurs prouver la matérialité.
Cela veut dire, que lors de la phase d’instruction par l’administration pour la délivrance des CEE, les DREAL ou la DRIEE contrôlent d’une part les éléments de preuve quant à la mise en œuvre réelle de l’opération d’économies d’énergie, et d’autre part valident le plan marketing et les actions associées pour inciter à faire des économies d’énergie. Attention, cela devant être une incitation individuelle du bénéficiaire de l’opération d’économie d’énergie, les fournisseurs d’énergie ne peuvent pas se « contenter » d’actions d’incitations immatérielles comme des campagnes de communication ou d’information.
c. Qui peut déposer des dossiers CEE ?
Il y a deux catégories d’acteurs :
• les « éligibles », qui sont autorisés à déposer des de-mandes de CEE en vue de les valoriser auprès d’« obligés » en les leur vendant.
• les « obligés », qui de par la loi ont un objectif de production de CEE, et qui peuvent être eux-mêmes « éligibles »
Désormais ne peuvent « demander » des CEE que les fournisseurs d’énergie, les collectivités locales, les logeurs sociaux et l’ANAH (Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat). Alors que dans la première période, toute entreprise pouvait être « éligible », déposer des CEE sur un compte du registre des CEE, dit EMMY, et chercher un « obligé » acheteur de ces Certificats clés en main.
Les CEE seront donc de moins un moins un simple marché de certificats, comme ils ont parfois pu l’être en première période. Le fournisseur d’énergie doit prouver qu’il a de manière concrète incité le bénéficiaire de l’opération à se lancer dans l’action d’économies d’énergie. Ce qui est loin d’être simple !
Pour autant tous les consommateurs, particuliers comme personnes morales, peuvent bénéficier du dispositif CEE, en ce sens que les opérations d’économies d’énergie qu’ils réalisent peuvent rentrer dans le cadre du dispositif, si elles répondent aux conditions d’une fiche.
Mais le consommateur ne peut pas lui-même déposer des demandes de CEE puisqu’il n’est pas « éligible ». Il devra s’adresser à un tiers, en général un « obligé », qui pourra valoriser l’opération d’économies d’énergie en la transformant en CEE, à condition d’avoir prouvé son rôle actif et incitatif, auprès de ce consommateur d’énergie, et ce en amont de sa décision de réaliser l’action d’économie d’énergie.
Dans le cas des particuliers, c’est quand même le plus souvent « l’obligé » qui s’adresse au consommateur et non l’inverse.
4. Que réserve l’avenir ?
La deuxième période du dispositif commence seulement, il est donc trop tôt pour faire un bilan de ces nouvelles règles du jeu.
Une interrogation tout de même ? En introduisant les carburants, le dispositif devrait s’étendre au secteur du transport. Sauf que le vivier des économies d’énergie « facilement accessibles » est surtout dans la rénovation du bâti.
De nombreux appartements et maisons en France ont 100 ans ou plus, mais on ne roule pas avec une voiture qui a 100 ans…
Est-ce que les obligés carburants vont faire leur obligation en développant des plan d’actions autour des quelques fiches transports qui existent pour l’instant (éco-conduite, télématique, unités de transport intermodale,…) ? La plupart des actions d’économies d’énergie liées au transport sont de faible valeur unitaire. Un stage d’éco-conduite représente 1,1 MWh cumac, soit 100 fois moins qu’une chaudière à condensation !
Leclerc et Auchan, « obligés » au titre de leurs ventes de carburant, ont choisi d’entrer dans le dispositif en proposant des primes énergies à leurs clients, sous forme de bons d’achat dans leurs magasins, pour les équipements de la maison éligibles au CEE, et non pour des actions liées au transport.
Pour l’instant l’impact du dispositif CEE se situe dans « l’épaisseur du trait »…. Avec la deuxième période qui multiplie par 5 les économies d’énergie à réaliser et surtout avec la troisième période 2013-2016, c’est un dispositif dont il faudra évaluer l’efficacité sur la durée. La deuxième période élargit le dispositif, avec le risque que finalement les fournisseurs de carburant (grande distribution et pétroliers) répercutent dans leurs prix de vente les coûts de production des CEE qu’ils auront obtenus dans l’habitat. Cela reviendrait à faire payer aux automobilistes une partie de la rénovation du bâti… N’y avait-il pas d’autre dispositifs, comme les bonus-malus, plus simples, moins administratifs et qui ont fait leur preuve, à déployer plus largement plutôt que le très complexe dispositif CEE ?.
Retrouvez également cet article dans le Flash n°23.