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Reproduire l’énergie du soleil avec ITER

mercredi 18 mars 2015, par Daniel Brimbal (ECLi 07), Jean-Marc Martinez (ECM 01)

L’article ci-dessous constitue une bonne introduction à la conférence organisée le 24 juin 2015 par Centrale-Energies ayant pour thème : "ITER et la fusion : recherche et perspectives".

ITER, le"Chemin" en latin, sera l’installation expérimentale de fusion la plus puissante jamais construite. Son objectif est de démontrer la faisabilité scientifique et technique de la fusion en tant que source d’énergie pour déboucher sur le développement d’un prototype de centrale de fusion à la fois sûr et fiable, respectueux de l’environnement et économiquement viable.

L’augmentation de la consommation d’énergie d’ici à la fin du XXIe siècle va occasionner des problèmes majeurs d’épuisements des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) auxquels s’ajouteront des conséquences irrémédiables pour l’environnement et l’équilibre climatique de la planète (dues principalement aux émissions de dioxyde de carbone et de gaz à effet de serre).

Développer une nouvelle source d’énergie plus propre et plus durable ; voilà un défi que plusieurs nations industrialisées ont relevé il y a maintenant une trentaine d’années en misant sur la fusion nucléaire.

Principes de base de la fusion

Contrairement aux réacteurs nucléaires actuels au sein desquels des noyaux d’uranium 235 subissent une réaction de fission qui les divise en plusieurs noyaux plus petits, les futurs réacteurs à fusion nucléaire exploiteront une réaction nucléaire mettant en jeu la fusion de deux atomes légers qui produira des noyaux plus lourds en libérant une grande quantité d’énergie. C’est ce phénomène qui fait « briller » le Soleil et les étoiles.
La réaction de fusion nucléaire la plus accessible en l’état actuel de la technologie, est celle entre le deutérium et le tritium, deux isotopes de l’hydrogène,. C’est celle qui sera utilisée dans les futurs réacteurs à fusion nucléaire. Elle produit un atome d’hélium, un neutron et un surplus d’énergie de 17,5 MeV ( 1 MeV = 1,6x10-13 J) :
D + T → 4He + n + 17,5 MeV

Dans un réacteur à fusion thermonucléaire (tokamak, traduction de « chambre toroïdale avec bobines électromagnétiques » en russe), un plasma toroïdal contenant du deutérium et du tritium est créé par confinement électromagnétique grâce à un ensemble d’aimants supraconducteurs. Le plasma est chauffé jusqu’à une température d’environ 10 à 20 millions de degrés Celsius, essentiellement par effet Joule : les ions faisant le tour du tore créent un courant de plusieurs méga-ampères. Grâce à la haute température, les atomes sont hautement réactifs et les nombreuses collisions entre particules donnent lieu à la réaction de fusion mentionnée précédemment. La température de ce plasma est ensuite élever à 150 millions de degrés Celsius par des méthodes de chauffage externe de type injection de neutres et ondes électromagnétiques à haute fréquence.

Les neutrons émis par la réaction de fusion ne sont pas confinés par les champs magnétiques car ils n’ont pas de charge. Ils sont éjectés du plasma et vont pénétrer les parois et les chauffer. Les parois chauffent à leur tour le caloporteur (eau ou hélium) pour produire ensuite de l’électricité. Un autre effet important des neutrons est de permettre la production de tritium, qui doit être produit artificiellement. Pour cela, on utilise des multiplicateurs neutroniques pour produire le tritium à partir de lithium par la réaction suivante :
n + 6Li → T + 4He + 4,78 MeV

ITER : un projet d’intérêt international

Depuis 1985, les grandes puissances mondiales représentant plus de la moitié de la population mondiale, Chine, Europe, Inde, Japon, République de Corée, Russie et États-Unis se sont fédérées au sein d’un programme visant à développer l’énergie de fusion à des fins pacifiques. Ce programme sera baptisé ITER (« le chemin » en latin) et deviendra l’un des projets scientifiques internationaux les plus vastes et les plus ambitieux de tous les temps.

À son terme, ITER sera l’installation expérimentale de fusion la plus puissante jamais construite. Son objectif est de démontrer la faisabilité scientifique et technique de la fusion en tant que source d’énergie pour développer un prototype de centrale de fusion à la fois sûr et fiable, respectueux de l’environnement et économiquement viable. Les combustibles de la fusion sont abondants et universellement accessibles.

Les sept membres du programme fourniront « en nature » les principaux éléments de la machine à l’organisation internationale ITER (IO), en charge de l’intégration et l’exploitation du projet ITER. Chacun des membres d’ITER a créé une « Agence domestique » (DA) qui gère les contrats industriels.

Qualitativement, les Membres d’ITER participent à tous les aspects du projet : recherche scientifique, approvisionnement, financement, ressources humaines, etc. afin que chacun d’eux puisse disposer, à terme, du savoir-faire nécessaire pour construire sa propre centrale de fusion (dont DEMO sera le premier démonstrateur préindustriel).

Quantitativement, l’Europe, qui assume la quasi-totalité de la construction des bâtiments de l’installation et bénéficie de l’essentiel des retombées économiques du chantier, prend en charge près de la moitié des coûts du programme et les six autres membres assument à parts égales le reste du financement.

Conception

La conception définitive d’ITER a été ratifiée par l’ensemble des membres en 2001 pour aboutir à des accords qui définissent en détails les phases de construction, d’exploitation et de démantèlement d’ITER, ainsi que les aspects financiers, organisationnels et humains (Joint Implementation Agreement JIA).
Le plus grand tokamak du monde : ITER
Le plus grand tokamak au monde : ITER

Dans le tokamak ITER, l’augmentation de température du plasma obtenue via les variations des champs électromagnétiques utilisés pour le contrôle du plasma (le confinement) n’est pas suffisante. Des méthodes de chauffage externe telles que l’injection de neutres (qui consiste à « tirer » des particules de deutérium à haute énergie dans le plasma) et les ondes électromagnétiques à haute fréquence (assimilables aux micro-ondes du four) viennent compléter ce chauffage ohmique pour faire monter la température jusqu’aux 150 millions de degrés Celsius requis pour la réaction de fusion.

À terme, les chercheurs espèrent obtenir un « plasma en combustion » partiellement auto-suffisant dans lequel l’énergie des noyaux d’hélium produits par la réaction de fusion suffira à entretenir la réaction (50 % de l’énergie extérieure nécessaire deviendra auto-produite). Après ITER, viendra DEMO : le « réacteur de démonstration » qui démontrera la viabilité de la production industrielle d’électricité à partir de l’énergie de fusion.

Systèmes composant le tokamak ITER

- Les aimants englobant 18 bobines supraconductrices de champ toroïdal, 6 bobines de champ poloïdal, un solénoïde central et un ensemble de bobines de correction du champ magnétique qui, par leur action, assurent le confinement, le modelage et le contrôle du plasma dans la chambre à vide.
- La chambre à vide est une enceinte parfaitement hermétique à double paroi en acier inoxydable entre lesquelles circulera l’eau de refroidissement. Située à l’intérieur du cryostat (voir plus bas), elle est le siège de la réaction de fusion et elle forme donc une première barrière de sûreté. La taille de la chambre à vide détermine le volume du plasma de fusion : plus l’enceinte est volumineuse, plus la machine pourra produire d’énergie. Elle mesurera 6 m de diamètre interne, un peu plus de 19 m de largeur et 11 m de hauteur, pour un poids supérieur à 5 000 t,
L’accès à la chambre plasma se fera au travers de 44 « pénétrations » pour les opérations de télémanipulation et les interventions sur les installations de diagnostics, de chauffage et de vide (18, 17 et 9 pénétrations respectivement en partie supérieure, équatoriale et inférieure).
- Les modules de couverture protègent l’intérieur de la chambre à vide contre les charges thermiques élevées et contre les neutrons de haute énergie produits par la réaction de fusion (certains modules pourraient être utilisés pour évaluer les dispositifs de génération de tritium dans le futur).
- Le « divertor » est l’un des composants fondamentaux de la machine ITER. Courant sur le « plancher » de la chambre à vide, il assure l’extraction de la chaleur et des cendres d’hélium, deux produits de la réaction de fusion, ainsi que d’autres impuretés issues du plasma. Il sera composé de deux éléments principaux : une structure de soutien, constituée d’acier inoxydable et des éléments face au plasma, d’un poids de 700 t environ (54 cassettes). Ces derniers seront en tungstène, un matériau hautement réfractaire (voir chapitre suivant).
- Une cinquantaine de systèmes de mesure différents (diagnostics) permettront de contrôler, d’évaluer et d’optimiser le comportement du plasma dans la machine ITER mais aussi de mieux comprendre la physique des plasmas.
- Trois sources de chauffage externe seront utilisées pour porter le plasma à la température permettant la fusion : un injecteur de neutres et deux types d’ondes électromagnétiques à haute fréquence.
- La chambre à vide est totalement enclose dans un cryostat, ou boîte froide, qui assure l’isolation du système magnétique supraconducteur et des autres éléments.
- et autres systèmes externes : CODAC (contrôle des systèmes), systèmes sous vide, systèmes cryogéniques, télémanipulation, alimentation électrique, cycle du combustible, cellule chaude, eau de refroidissement, production du tritium...

Les matériaux : un défi technique

Dans un réacteur à fusion thermonucléaire, le développement de matériaux résistants pour le divertor et les premières parois (éléments des modules de couverture qui font face au plasma) constitue l’un des défis majeurs à résoudre. En effet, la fréquence à laquelle ces éléments devront être remplacés sera déterminant pour la disponibilité du réacteur (à comparer avec 80 % de disponibilité pour un réacteur de fission à eau pressurisée), et donc pour le coût de l’électricité produite.

Dans ITER, le choix des matériaux à utiliser pour les deux composants clés que sont le divertor et la première paroi a déjà été fait.

Pour le divertor, on utilisera du tungstène entourant des tubes de CuCrZr. En effet, le tungstène peut résister au fort flux de chaleur que le divertor recevra (10 MW/m2 en moyenne), et à l’érosion causée par les particules émises par le plasma.

Quant aux parois, l’armure sera en beryllium, le puits thermique sera en CuCrZr, et le matériau de structure sera en acier inoxydable (acier 316L).

Cependant, si ces choix sont acceptables pour ITER, où les doses d’irradiation aux neutrons seront relativement faibles (fonctionnement en mode pulsé à la différence d’un réacteur) et n’entraîneront qu’un vieillissement négligeable de ces matériaux, ils ne pourront pas être utilisés dans les futurs réacteurs.

De nombreux programmes de recherche sont donc mis en place pour développer des nouveaux matériaux et caractériser leur vieillissement. Par exemple, pour les armures, on développe des solutions à base de tungstène ou de carbure de silicium. Ces matériaux seront soumis à de très hautes températures et à l’irradiation neutronique. La question se pose aussi de savoir comment assembler ces matériaux aux matériaux de structure qui auront un coefficient de dilatation thermique différent.

Pour les matériaux de structure, on développe actuellement les aciers ferritiques-martensitiques à activation réduite. La composition de ces aciers fait qu’ils n’engendreront pas de déchets radioactifs à vie longue (stockage nécessaire < 100 ans). Ils présentent par ailleurs une dilatation thermique relativement faible. On s’applique actuellement à développer des nuances de ces aciers qui résistent bien au gonflement (formation de pores microscopiques sous irradiation) et à la fragilisation induite par l’irradiation neutronique, toujours dans l’objectif de pouvoir remplacer les pièces le moins souvent et d’augmenter la disponibilité du réacteur.

Démarrage de la phase de fabrication

Les travaux de construction des bâtiments scientifique et des installations annexes ont démarré en juillet 2010. Depuis ce jour, tous les moyens en génie civil sont déployés sur la plate-forme surélevée de 42 ha aménagée à Saint-Paul-lez-Durance. Près de 500 ouvriers du bâtiment s’y sont affairés en 2013/2014 ; au plus fort de l’activité de construction, ils devraient être plus de 2 000.

Partenaire et hôte du programme ITER, l’agence domestique européenne Fusion for Energy (F4E) est responsable de la contribution financière ainsi que de la supervision technique de la construction des 39 bâtiments scientifiques et des zones qui en dépendent. Le complexe tokamak sera l’un des premiers bâtiments achevés.
Avril 2014, le radier du Tokamak Complex est parachevé www.iter.org
Avril 2014, le radier du Tokamak Complex est parachevé. www.iter.org

ITER Organization est chargée de réaliser l’intégration et l’assemblage des éléments livrés sur le site ITER par les sept membres. Il s’agit notamment d’assembler le tokamak ITER (Figure 3) et, en parallèle, d’installer et d’intégrer les unités intégrées : chauffage à ondes radiofréquence, cycle du combustible, circuit de refroidissement et alimentation électrique. Les essais suivront alors pour permettre de vérifier l’interaction de l’ensemble des systèmes et de préparer la machine ITER pour l’exploitation.

Les éléments fournis par les membres d’ITER sous forme de contributions en nature seront assemblés sur le site selon des séquences prédéfinies. Les premiers composants fabriqués par les agences domestiques arriveront sur le site ITER en 2014. L’ordre et la chronologie des étapes de montage entre cette date et la mise en service du tokamak ITER ont été planifiés avec soin dans le cadre d’un plan d’assemblage qui, pour la machine ITER, ne comporte pas moins de 40 000 lignes. Aujourd’hui les opérations de montage ont été estimées à 1,5 million d’heures de main-d’œuvre pour une période de quatre ans.

Jean-Marc Martinez (ECM 01), Daniel Brimbal (ECLi 07)

Remarque : Les vues et opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement ceux de l’organisation ITER.

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