Accueil > Publications > Le devoir de lucidité pour le développement de l’éolien et du photovoltaïque

Le devoir de lucidité pour le développement de l’éolien et du photovoltaïque

mardi 15 juin 2021, par Alain Argenson (ECN 62)

Extrait de la note du Haut-Commissariat au Plan du 23 mars 2021 sur le devoir de lucidité en matière d’électricité.

« Dans les décennies qui viennent l’électricité, en raison des engagements que notre pays a pris en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le réchauffement climatique, est appelée à occuper une place de plus en plus importante dans notre économie et notre société... Il est donc impératif de changer les habitudes, d’isoler les logements, de limiter le coût carbone des échanges et des déplacements. Mais, comme on doit le constater, cette politique si juste, d’isolation des logements, d’amélioration de l’efficacité des moteurs, de mutation des usages, ne peut à elle seule suffire à atteindre les objectifs ambitieux et nécessaires qui ont été fixés par les pouvoirs publics nationaux et la communauté internationale. La substitution de sources d’énergie non carbonées aux sources d’énergie dépendant de carburants fossiles est donc devenue un chapitre essentiel de l’évolution de nos sociétés et de nos économies. C’est dans ce contexte que la question de la consommation et de la production d’électricité est devenue une question centrale du débat énergétique. »

Le bilan prévisionnel 2021 de RTE prévoit en 2030 une consommation comprise entre 484 et 498TWh (475TWh en 2019). Ce bilan est basé sur l’hypothèse d’atteinte des objectifs PPE/SNBC en fin 2028 c’est à dire : une forte amélioration de l’efficacité énergétique couplée à une décarbonatation des vecteurs énergétiques utilisés.
RTE a engagé mi-2019 l’élaboration des futurs scénarios 2050 du Bilan prévisionnel qui prévoit une consommation de 630TWh et a lancé une phase de consultation sur ces scénarios.
La première phase de concertation conduit à identifier huit scénarios d’étude, qui se déploient sur la période 2020-2060. Ils permettent tous, par définition, d’atteindre la neutralité carbone en 2050 en suivant le cadrage général de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) adoptée par le Gouvernement. Les scénarios couvrent un large éventail de configurations : la part du nucléaire dans la production d’électricité en France évolue entre 0 et 50%, et celle des énergies renouvelables entre 50 et 100%

Qu’en est-il du parc de production ?

Les objectifs d’évolution du parc de production et d’effacements sur la prochaine décennie sont construits autour de quatre axes déclinés dans la PPE :
1. Une poursuite de la réduction de la production d’électricité à partie d’énergie fossile avec la fermeture des derniers groupes au charbon d’ici fin 2022 et l’interdiction de toute nouvelle grande installation thermique fossile (hors cycle combiné au gaz de Landivisiau, décidé avant la PPE) ;
2. Une réduction de la part du nucléaire dans le mix : les deux réacteurs de Fessenheim sont désormais à l’arrêt, et la PPE cible 50% de production d’origine nucléaire dans le mix électrique ce qui conduit à l’arrêt de 12 autres réacteurs nucléaires d’ici à 2035 ;
3. Des objectifs ambitieux de développement des énergies renouvelables, avec notamment à l’horizon 2028 des cibles de doublement de la capacité installée actuelle de la filière éolienne (autour de 34 GW), de quadruplement de la capacité photovoltaïque (autour de 40 GW), et d’un parc offshore de 5,2 à 6,2 GW ;
4. Le développement important de la capacité des effacements de consommation, avec un objectif de 6,5 GW mobilisables à l’horizon 2028.

Ces objectifs 2028 sont-ils réalisables ?

Arrêter des centrales nucléaires c’est toujours possible mais qu’en est-il des énergies renouvelables : éolien et photovoltaïque.

EOLIEN TERRESTRE

Fin 2020 la puissance installée était de 17616MW pour un objectif 2023 compris entre 21800MW et 26000MW. La puissance installée annuelle varie depuis 10 ans entre 622MW (en 2013) et 1788MW (en 2017) Pour atteindre l’objectif bas de 2023 il faudrait installer 1400MW par an. Ce n’est pas impossible étant donné que les projets en développement sont de l’ordre de 10000MW.

Les objectifs de 2028 sont beaucoup plus ambitieux : entre 33 200MW et 34 700MW soit plus de 2300MW par an. Est-ce possible ?

Environ 50% du territoire est interdit à l’éolien : Contraintes liés à l’aviation (militaire et civile), zones couvertes par des radars (aviation civile, militaire, Météo France), nombreuses contraintes techniques nécessitant des éloignements (lignes HTB, conduite gaz, réseau routier, faisceau de communication hertzien), proximité avec des bâtiments ou sites classés, évitement de sites naturels, etc.

D’autres zones sont sous contrainte forte qui viennent par exemple limiter la hauteur des mâts des éoliennes et ainsi ne permettent pas d’exploiter efficacement la ressource énergétique.

Les études nécessaires à la demande d’autorisation, pour construire et exploiter un parc éolien, se sont également complexifiées ces dernières années. Elles sont devenues plus longues et plus coûteuses.

Eolienne à St Genou

Dans le cadre d’un projet éolien, les demandes des services de l’Etat à procéder à la réalisation d’un dossier de demande de dérogation de destruction d’espèces protégées se sont généralisées dans le sud de la France (Occitanie en particulier) sans qu’elles soient toutes justifiées. Cette procédure supplémentaire rallonge les délais d’autorisation d’un parc éolien. Les services d’instruction ne sont pas et assez nombreux et pratiques des stratégies de ralentissement : demande de compléments, demande de report, refus d’instruire qui se multiplient, place centrale accordée à l’enquête publique, systématisation des refus par le préfet pour se défausser sur la justice administrative. Ainsi en Occitanie, sur 99 projets éoliens instruits depuis 2011, seuls 25 acceptés.

Les recours aux autorisations administratives, quant à eux, se multiplient, ralentissant également l’avancement des projets, qui mettent en moyenne sept à huit ans à aboutir contre quatre à cinq ans dans le reste de l’Europe. Dans l’Hexagone, on compte 70 % de recours contre les projets éoliens.

À cela viennent s’ajouter les polémiques. En septembre 2020, le manque de vent, en pleine période de maintenance des réacteurs des centrales nucléaires, compliquée par la fermeture de Fessenheim, a poussé la France à rallumer ses centrales du charbon, nourrissant la contestation sur le bien-fondé de l’éolien. D’autres dénoncent la nuisance visuelle due aux balisages (ces lumières qui clignotent la nuit) qui pourrait être éliminée si la DGAC ne s’opposait à de nouvelles dispositions admises à l’étranger. Enfin, des impacts sur les populations d’oiseaux ou de chauve-souris sont aussi mis en avant par les opposants à cette source d’énergie bien qu’ils soient très limités (moins de collisions d’oiseaux qu’avec les tours et les ponts), surveillés et que des solutions techniques existent aujourd’hui pour les éviter (télédétection des oiseaux par système de caméras associés à des dispositif d’arrêt machine par exemple).

L’objectif bas visé par la PPE en 2028 (33200W) soit 2300MW/an semble difficilement atteignable.

EOLIEN MARITIME

En mer l’objectif 2028 est compris entre 5200MW et 6200 MW.

Trois premiers appels d’offres ont permis de lancer la planification de sept parcs éoliens en mer posés, pour une puissance de 3,5 GW :
1. Dans le cadre du premier appel d’offres (AO1), les projets de Saint Nazaire, Fécamp, Courseulles-Sur-Mer ont été attribués au consortium Éolien Maritime France (EMF)89 ; le projet de Saint-Brieuc a été attribué au consortium Ailes marines90 ;
2. Dans le cadre du deuxième appel d’offres (AO2), les projets de Dieppe et Yeu Noirmoutier ont été attribués au consortium LEMS, mené par Ocean Winds91 ;
3. Un troisième appel d’offres (AO3), lancé en décembre 2016 en vue de l’implantation d’un parc éolien en mer sur la zone de de Dunkerque, a été attribué en 2019 au groupement composé d’EDF Renouvelables, Innogy et Enbridge, avec une puissance proche de 600 MW.
4. Un quatrième appel d’offres a été lancé en janvier 2021 pour un parc de 1 GW au large de la Normandie.

eolien flottant

.
Les parcs attribués (AO1 et 2) représentent 2920 MW. Les raccordements pour les parcs AO1 sont en cours et il est programmé une mise en service en 2024. Ceci sans compter avec la contestation locale en cours comme à Saint Brieuc.

En 2028 l’ensemble des parcs soit 4520MW seront peut-être en service. C’est inférieur à l’objectif.

Par ailleurs, l’ADEME a lancé en 2016 un appel à projet portant sur le développement de fermes éoliennes expérimentales basées sur la technologie de l’éolien flottant. Trois projets pilotes de 30MW chacun ont été retenus : un en Bretagne et deux en Méditerranée. Ces projets, en phase d’expérimentation, doivent permettre de démontrer la viabilité technique et économique de cette filière.

Les objectifs 2028 de la PPE pour l’éolien terrestre et maritime semblent donc difficilement atteignables.
.
.
.
.

PHOTOVOLTAÏQUE

La puissance installée en Métropole fin 2020 était de 10 428MW dont 3710MW d’installations inférieures à 100kW en toiture.
La cible définie par les pouvoirs publics dans le cadre de la PPE est de 20,1 GW à fin 2023 et comprise entre 35,1 et 44 GW à fin 2028.

En 2006 la publication d’un tarif réglementé d’achat du kWh très avantageux a provoqué un démarrage rapide des installations photovoltaïque au sol et en toiture. En décembre2010 cette envolée fut stoppée brutalement. Les projets ayant signé un contrat d’achat ont pu être construits. Une procédure d’appels d’offres périodique a été mise en place à partir de 2011 pour les projets de puissance supérieure à 100kW. En toiture un tarif réglementé jusqu’à 100kW subsiste.

parc solaire de Roquefumade (Aude) de Soleil du Midi

Les appels d’offres depuis 2011 représentent une puissance totale de 11558MW à installer avant fin 2023. Compte tenu de ce qui a été installé en 2011/2013 plus les installations en toiture l’on obtient un potentiel installable de 15000MW fin 2023 . Il manquera encore 5000MW pour atteindre l’objectif et à condition qu’en 2021, 2022 et 2023 l’on installe 1500MW par an. Est-ce possible ? Compte tenu des réalisations des années passées qui sont autour de 800/1000 MW il semble difficile de tenir cet objectif de 2023.

Tenir l’objectif de 2028 c’est installer 3000MW/an à partir de 2021. C’est impossible à prévoir compte tenu des inconnues qui pèsent sur cette filière.

Pourquoi ce décalage entre l’objectif de la PPE et la réalité ?

Les explications sont multiples :
• En premier la procédure d’appel d’offre qui introduit un élément d’incertitude surtout depuis la mise en place du complément de rémunération au prix du marché.
• Priorité des installations dans les secteurs urbanisés en continuité des constructions (?),
• Contraire aux objectifs de la loi d’autoriser globalement les centrales solaires au sol en zone agricole ou en zone naturelle des plans locaux d’urbanisme sauf si les terrains sont dégradés (carrières, sites pollués, délaissés routiers…) dont l’appréciation est laissée au bon vouloir de l’Administration
• Les constructions et installations autorisées en zone A ou N [1] ne doivent pas aboutir à porter atteinte aux paysages.
• Quasi interdiction dans les périmètres classés au titre du patrimoine
• Absence de tarif ou d’appel d’offre pour les parcs au sol de puissance inférieure à 500kW

CONCLUSION

L’atteinte de l’objectif 2023 pour l’éolien n’est pas impossible mais l’objectif 2028 semble hors de portée.
Pour le photovoltaïque l’objectif de 2023 ne sera pas tenu alors que dire de celui de 2028.

Pour l’éolien comme pour le photovoltaïque, on a l’impression que les services instructeurs ne tiennent pas compte des objectifs définis par les différentes lois.

C’est dans ces conditions que RTE a lancé sa consultation sur 8 scénarios pour 2050,
Si l’on veut réellement développer l’éolien et le photovoltaïque il me semblerait préférable avant de développer des scénarios, d’ouvrir une conférence de consensus avec tous les acteurs concernés pour examiner les obstacles qui freinent le déploiement de l’éolien et du solaire photovoltaïque.


[1dans le cadre d’un PLU A = terre agricole, N = espace naturel

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.