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Gaz de Schiste : Après la Fracturation Hydraulique...

mardi 1er novembre 2011, par Claude Poirson (ECN 71)

La France est le premier état au monde à interdire l’exploitation de ces hydrocarbures.

A moins de mettre au point une autre technologie, plus respectueuse de l’environnement, les industriels sont pour l’instant dans l’impasse.

Avec des gisements estimés à plus de 5 000 milliards de mètres cubes en Pologne et en France, le gaz de schiste permettrait de doubler les quantités de gaz extractibles en Europe, et représente donc un grand potentiel énergétique.

Un gaz non conventionnel

Le gaz de schiste est un gaz dit "non conventionnel" : il réside dans des roches mères argileuses, laminées, où il a été formé et d’où il ne peut migrer. Au contraire le gaz dit "conventionnel" se trouve dans des roches poreuses dans lesquelles il a migré et s’est accumulé dans des sortes de "poches". Dans les deux cas, il s’agit de méthane. Le gaz en lui-même n’est pas à l’origine de ces contraintes techniques mais la roche, peu perméable, qui le contient. Pour l’extraire, on injecte sous haute pression - plus de 100 bars - un fluide dit de "fracturation". Il est composé d’eau (90%), de sable (9,5 %) et d’additifs chimiques (0,5 %). Les grains de sable maintiennent les fissures ouvertes de manière à perpétuer l’écoulement des hydrocarbures vers la surface. Un problème majeur concerne les additifs, dont certains sont réputés agressifs et polluants pour l’environnement. Leur intérêt est d’éviter la formation de bactéries et de favoriser le transport du sable dans les fissures. Sans eux, pas de fracturation et donc pas de gaz de schiste.

La composition de ces additifs dépend des caractéristiques du réservoir et des conditions du puits. Le cocktail chimique, injecté par exemple dans les puits aux Etats-Unis, comprend 2 500 produits incluant 750 substances chimiques, parmi les-quelles 29 connues pour être cancérigènes ; un rapport rédigé par la Commission de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants américaine dresse la liste des composés utilisés entre 2005 et 2009 : méthanol, naphtalène, xylène, benzène, toluène, etc. Des produits hautement dangereux, et notamment cancérigènes.

Les risques associés à ce type d’exploitation

En France, l’industrie d’extraction des hydrocarbures date de plus d’un demi-siècle. La fracturation hydraulique est aussi employée en géothermie et pour la production de gaz conventionnel, notamment en offshore. Il existe près de deux millions de puits avec fracturation dans le monde à l’heure actuelle, surtout dédiés aux gaz conventionnels. Pour les gaz de schiste, la couche visée est située entre 1 500 et 2 000 mètres. Celle-ci peut libérer des radionucléides et des métaux lourds. Ces éléments toxiques sont présents naturellement dans la couche argileuse contenant les gaz de schiste. Les fluides utilisés lors de la fracturation hydraulique réagissent avec les argiles qui dégagent alors ces éléments. Ces derniers peuvent de ce fait remonter vers la surface ou migrer vers les nappes phréatiques.

Autre risque de pollution, qui ne concerne d’ailleurs pas que l’exploitation des gaz de schiste : la possible contamination des aquifères, via le tube de forage. En surface, sur certains sites, des émanations de méthane ont été décelées au niveau des bassins de retraitement de l’eau polluée, contribuant ainsi à l’effet de serre...

Le gaz de schiste dans le monde et en Europe

Dans le monde, les ressources en gaz de schiste seraient du même ordre de grandeur que celles de gaz conventionnel, et ces ressources seraient mieux réparties. Les chiffres qui figurent partout sont difficiles à vérifier. Les ressources seraient de l’ordre de 500.1012 m3 (500 mille milliards de mètres cubes). La carte page suivante montre une estimation de la répartition de ces réserves basées sur les zones où il existe des exploitations en place ou des indices forts de la présence de ces gaz et le tableau montre les volumes estimés par région.

Quant à l’Europe le tableau figurant page suivante donne les ressources estimées en comparaison avec les ressources en gaz conventionnel ; soit 4 202 milliards de m3 en gaz conventionnel et 16 470 milliards de m3
récupérables en gaz de schiste (ces valeurs sont approximatives, puisque les recherches nécessaires à leur évaluation n’ont pas toujours été effectuées et que le facteur de récupération dépendant de la minéralogie, de la complexité géologique du sous sol et des conditions d’exploitation peut varier entre 20% et 30%)

Illustration Flash 26 Article 1
Cartographie des réserves avérées de gaz de schiste, non daté.

En rouge, les réserves avérées de gaz de schiste, en jaune, les réserves supposées, en blanc les zones où il pourrait y en avoir et en gris les zones où il n’y a pas d’information. © EIA

Zone géographique Réserves estimées en 10^12 m^3
Amérique du Nord 115
Amérique du Sud 95
Afrique du Nord et Moyen Orient 75
Afrique Sub-Saharienne 10
Europe de l’Ouest 15
Europe de l’Est 2
Ex Urss 19
Asie Centrale et Chine 105
Pacifique 75

D’après un document de P Thomas laboratoire de géologie de Lyon/ENS Lyon

Pays Production de gaz conventionnel 2009 en milliards de m^3 (1) Réserves prouvées de gaz conventionnel en milliards de m^3 (1) Ressources de gaz de schiste en place en milliards de m^3 (2) Gaz de schiste techniquement récupérable en milliards de m^3 (2) Facteur de récupération escompté (2)
France 0.85 5.7 20 376 5 094 25.0%
Allemagne 15.6 92.4 934 226 24.2%
Pays Bas 73.3 1 390 1 868 481 25.7%
Norvège 103.5 2 215 9 424 2 349 24.9%
Royaume Uni 59.6 256 2 745 566 20.6%
Danemark 8.4 79 2 604 651 25.0%
Suède 0 0 4 641 1 160 25.0%
Pologne 4.1 164 22 414 5 292 23.6%
Lituanie 0.85 0 481 113 23.5%
Total EU 27 + Norvège 266 4 202 65 487 16 470 25% env.

Production et réserves de gaz conventionnel comparées aux ressources en gaz de schiste en Europe

Sources (2) US-EIA (2011), (1) BP (2010)

La situation

Fin 2010, dans le Sud-est de la France, les gaz de schiste ont suscité une contestation sans précédent. Dans la région, réputée riche en gisements, les manifestations se sont multipliées, les habitants refusant de voir à terme des dizaines de puits d’exploitation pousser dans le paysage.

Et surtout, ils s’opposent au principe de fracturation hydraulique employé pour extraire le gaz. Jugé très polluant, ce procédé requiert de grandes quantités d’eau pour fissurer la roche. Chaque gisement peut comprendre plusieurs dizaines de puits. La durée de l’exploitation de ces puits est très courte : souvent, elle ne dépasse pas quelques mois. Pour l’exploitation de chaque puits, on injecte entre 10 000 et 20 000 m3 d’eau chargés de substances chimiques. Une part variable de cette eau remonte à la surface par le tube de forage et est retraitée dans les bassins de décantation pour être réinjectée ensuite. L’autre part reste coincée dans la roche... Un puits est “fracturé” au maximum une quinzaine de fois...

Interdit en France

A peine six mois plus tard, la France devient le premier Etat au monde à interdire cette technique. Le gouvernement est même allé plus loin au début du mois d’octobre puisque les trois permis de recherche qui avaient été octroyés à Total et à l’américain Schuepbach ont tout bonnement été annulés. En conséquence, les industriels sont bloqués. A moins que des recherches n’aboutissent à un procédé d’extraction rentable et moins destructeur pour l’environnement, l’extraction par fracturation hydraulique ne verra pas le jour dans l’Hexagone. A titre de comparaison, aux Etats-Unis, les exploitants n’ont pas eu à montrer patte blanche vis-à-vis des autorités ou du public. La ruée vers les gaz de schiste y a débuté en 2001. Dix ans plus tard, le pays compte 500 000 puits, dont l’exploitation représenterait 22 % de la production nationale de gaz en 2010.

A l’Assemblée Nationale, le débat se poursuit cependant sur l’utilisation de procédés d’extraction alternatifs et expérimentaux, ainsi que sur la question de l’interdiction de tous les hydrocarbures non-conventionnels.

Indépendance énergétique en Pologne

A l’inverse, la Pologne, où se concentrent les réserves les plus importantes, voit dans le développement de ces gaz l’opportunité d’affirmer son indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, son principal fournisseur. L’exploitation commerciale de ce gaz non conventionnel commencera dès 2014, ont par ailleurs annoncé récemment les autorités polonaises.

La Pologne qui, jusqu’à présent, militait en faveur d’une approche européenne commune sur la question du gaz de schiste, a créé la surprise lundi 3 octobre en faisant volte-face. Dans une étude, elle juge cette ambition irréalisable, compte-tenu de la complexité et de l’ampleur du débat. Les autorités craindraient que l’Europe ne restreigne l’exploitation des gaz non-conventionnels.

La position de l’Europe

Le Parlement européen s’est saisi de la question et a publié une étude en juin 2011. La commission de l’énergie s’est à son tour saisie du dossier le 5 octobre 2011, tandis que la commissaire en charge du Climat s’est exprimée contre un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste en Europe. Pour l’instant, au niveau européen il n’y a pas de position commune sur cette exploitation et les pays avancent en ordre dispersé.

Ces débats interviennent alors même qu’un rapport vient d’être publié par le Canada, pointant l’utilisation de critères environnementaux défaillants lors de l’évaluation de ses projets d’exploitation. Le Canada possède 12 % des réserves pétrolières mondiales, principalement sous la forme de sables bitumineux.

Des alternatives à la fracturation hydraulique ?

Le législateur, en interdisant la fracturation hydraulique, interdit la production de gaz de schiste. En clair, les industriels devront trouver d’autres moyens d’exploiter les gisements. Une alternative possible serait la fracturation au CO2. Mais ce procédé est loin d’être au point ; pour l’instant la technique n’est pas opérationnelle. Quelques essais ont été menés en Espagne. Ils se sont soldés par des échecs. De plus cette technique reste encore expérimentale, mais trouver et acheminer du CO2 n’est pas chose facile et le coût de cet acheminement est important.

Pour être injecté, le CO2 doit être en phase “supercritique”. Un état qui fait que, dans certaines conditions de pressions et de températures, le CO2 se comporte comme un liquide. Or, ce changement de phase est mal maîtrisé. Autre inconvénient à cette méthode : le CO2 injecté en profondeur acidifie l’eau présente dans les sous-sols. Cette eau acidifiée peut migrer, à travers les fissures provoquées par la fracturation, jusqu’aux couches rocheuses carbonatées et les dissoudre. Cette dissolution élargit les fissures et entraîne la remontée plus rapide des produits chimiques à la surface. Ceci en traversant et contaminant les aquifères. Ce processus de dissolution se fait naturellement, sur une échelle de temps qui varie entre 500 000 ans et un million d’années. Mais avec la fracturation au CO2, le phénomène est considérablement accéléré.

D’autres méthodes sont envisagées mais actuellement elles n’ont pas dépassé le stade du laboratoire.

Nota : voir également les flash 22, 23 et 25 de Centrale Energie
Sources : IFP Energies Nouvelles, Laboratoire de géologie de Lyon, Laboratoire d’hydrogéologie de Montpellier, Commission Européenne, Parlement Européen, Parlement Français, Ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°26.

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