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Gaz de Schistes : les Raisons de la Colère

dimanche 1er mai 2011, par Claude Poirson (ECN 71)

La France aurait son or noir : les gaz de schiste, du gaz naturel qu’il faut déloger en fracturant la roche (voir l’article sur les gaz non conventionnels paru dans le flash 22). Aux États-Unis, un documentaire fustige leur exploitation, redoutable pour l’environnement. En France, depuis que le gouvernement a délivré trois permis de recherche pour ce gaz naturel, les protestations se multiplient.

Qu’en est-il vraiment ? Faut-il craindre l’exploitation des gaz de schiste ?

Aux États-Unis, certains industriels positionnés sur ce marché technologiquement mature et encouragé au nom de l’autonomie énergétique ont fini par polluer des nappes phréatiques. Gasland, le documentaire diffusé en 2010 aux Etats-Unis, dénonce les ravages écologiques de l’exploitation des gaz de schiste outre-Atlantique : pollution des nappes, rejets toxiques en rivière, émanations douteuses au robinet des maisons, mitage des paysages, contaminations radioactives.

En France, le gouvernement a prié les détenteurs des permis de recherche de n’entreprendre aucun forage en attendant les conclusions d’une étude d’impact environnemental. Une sorte de moratoire. L’étude française doit accoucher d’un rapport fin mai. Un pré–rapport d’étape vient de paraître. Tandis que les propositions de loi visant à interdire ce type d’exploitation se multiplient et qu’un débat sur le sujet est prévu le 10 mai à l’Assemblée Nationale.

L’exploitation des gaz de schiste outre-Atlantique a débuté dans les années 1970 et a été encouragée par le gouvernement fédéral en laissant le champ libre aux compagnies et même en limitant le rôle de l’agence fédérale de protection de l’environnement (EPA).

a. L’exploitation et les nappes phréatiques

Le gaz de schiste est présent dans le sous-sol sous forme diffuse, au sein même de la roche mère. Cette configuration particulière nécessite des techniques d’extraction spécifiques. Il s’agit de créer des fissures artificielles pour déloger le gaz de sa matrice : c’est le principe de la fracturation hydraulique. Celle-ci s’effectue en injectant de l’eau sous pression, mélangée à du sable pour faire éclater la roche. Les particules de sable, parfois associées à des billes d’alumine, se logent dans les fractures créées pour éviter qu’elles ne se referment aussitôt. Une fois la voie libre, le méthane s’échappe et remonte à la surface par une canalisation parallèle à celle qui achemine le fluide. Ce dernier est (partiellement) récupéré par la même occasion. De plus, pour maximiser l’efficacité du puits, les foreurs ajoutent des produits chimiques dans le fluide. Selon Gasland, ces 0,14 % d’additifs ont donné lieu à des contaminations de nappes phréatiques. Parmi ces additifs, on trouve des agents antimicrobiens comme le méthanol, de l’acide chlorhydrique pour dissoudre les ciments minéraux dans les fractures, ou encore des inhibiteurs de dépôts comme l’éthylène glycol. Sur 260 produits répertoriés par la justice américaine, huit sont des cancérigènes avérés. Normalement ces produits se trouvent ensuite piégés dans la roche ; on ne devrait donc pas les retrouver dans les aquifères qui surplombent les couches fracturées. En effet, le puits par lequel descendent les tuyaux et l’eau sous pression finit par former un coude, pour ensuite progresser horizontalement en épousant la couche schisteuse. Mais avant ce coude, il traverse verticalement plusieurs centaines de mètres de couches géologiques. C’est à ces faibles profondeurs que se trouvent les nappes phréatiques ; à ce niveau, il est donc nécessaire de bien étanchéifier les parois du puits.

En Pennsylvanie par exemple, certains exploitants ont traité cette étape à la légère : faute d’étanchéité, le fluide de fragmentation injecté a migré dans l’aquifère et pollué l’eau. Sans compter qu’aux États-Unis la loi exonère les foreurs de transparence sur la composition des fluides injectés.

b. Le traitement des effluents

À ce risque de pollution souterraine se greffe un risque de pollution en surface. En effet, le fluide de fracturation remonte certes avec du gaz, mais aussi avec des éléments lessivés en sous-sol. La roche mère étant composée de feuillets à la surface desquels se trouvent des métaux comme le cuivre, le plomb, le zinc..., l’injection de fluides peut provoquer un détachement de ces éléments qui remontent avec le fluide à son retour. En outre, l’eau remonte salée. Ces éléments doivent donc être éliminés avant le rejet de l’eau à la rivière, ou avant sa réutilisation pour un nouveau cycle de fracturation, car en précipitant sous l’effet de la pression, les particules solides et l’excès de sel peuvent diminuer la productivité, voire endommager le puits.

Or, aux États-Unis, ce recyclage a parfois fait défaut, et des pollutions ont été constatées, dans l’Oklahoma notamment. De plus, dans un certain nombre de cas, le traitement de ces effluents a été sous-traité aux stations de retraitement des eaux usées des collectivités voi-sines, sans que celles-ci aient une idée précise de leur composition.

Qui plus est, le faible niveau de contrôle de ces effluents a permis le rejet dans la nature d’éléments radioactifs remontés avec les fluides.

c. La consommation en eau

Recycler le fluide est pourtant une réponse idéale à une autre problématique : les prélèvements sur la ressource en eau. Une question qui se pose avec d’autant plus d’acuité dans les régions arides.

En effet aux USA, les exploitants avouent utiliser 10.000 m3 à 15.000 m3 d’eau par puits. Ces chiffres pourraient sembler faibles si, pour exploiter les gaz de schiste, il n’y avait pas à forer bien plus souvent, et de manière plus rapprochée, que pour pomper du gaz conventionnel. En effet, un puits de gaz de schiste s’épuise vite, et il faut rapidement forer à côté pour maintenir le rythme de production. Dans les grands espaces des Etats–Unis, cette consommation foncière est indolore. D’autant que le code minier américain permet au propriétaire du terrain de toucher des royalties sur le gaz de schiste extrait sous sa propriété. Rien de tel en France où l’atteinte au paysage sera sans doute moins acceptée.

Néanmoins, il est possible de rassembler plusieurs forages en une même plateforme, dite "cluster" ; mais avec sa route d’accès et son bassin de décantation chaque cluster fait tout de même un hectare.

d. Les risques sismiques

D’autre part, l’injection de fluides à haute pression à proximité d’une faille peut induire une secousse sismique en réactivant celle-ci, comme cela s’est produit récemment en Suisse, où un forage géothermique a provoqué un séisme, de faible magnitude, mais ressenti par la population. En France, cet aléa existe à la frange des zones dans lesquelles le gaz de schiste doit être recherché, au sud-est, sur la faille de la Durance. Les petites failles poseront alors davantage de problème que les grandes car elles ne sont pas cartographiées. Il est donc possible qu’un exploitant place à leur proximité un forage sans se douter du risque couru.

Etude détaillée du sous-sol lors de la phase exploratoire, additifs moins nocifs, traitement de l’eau, étanchéité des puits, contrôle des exploitations, remise en état des sites, information de la population : ces solutions auront un coût que les opérateurs devront intégrer à leurs calculs de rentabilité, une fois la phase exploratoire achevée.

e. Le pré-rapport de la mission d’évaluation

Le pré-rapport, qui vient d’être publié, préconise des travaux d’exploration, mais dans un cadre strict.

Demandé en février par le gouvernement, le document analyse les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des huiles et gaz de schiste. Sans pour autant être défavorable à des travaux de recherche et des tests d’exploration, il pose quatre conditions. Des conditions qui doivent être "impérativement satisfaites" avant toute exploration.

Tout d’abord, l’exploration doit se faire avec une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locales. Ensuite, les travaux doivent être réalisés avec les meilleures technologies disponibles. Parallèlement, il doit y avoir un strict encadrement juridique et technique des travaux de recherche. Et enfin, la police des mines doit pouvoir intervenir sur le terrain avec des contrôles rigoureux.

"Il serait dommageable, pour l’économie et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle", souligne par ailleurs le pré-rapport. Accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi, ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration".

Le rapport propose également la création d’un comité scientifique national composé d’experts du BRGM, de l’Institut des énergies nouvelles et de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques.

Avec ce pré-rapport, les industriels semblent conserver une mince marge de manœuvre sur le dossier des gaz de schiste. Un dossier qui semblait plutôt condamné depuis l’interdiction totale prônée par le premier ministre François Fillon à l’Assemblée nationale, le 13 avril dernier.

Le pré-rapport constitue un premier document officiel de référence. Nul doute qu’il sera au cœur du débat organisé le 10 mai à l’Assemblée nationale.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°23.

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