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L’émergence des gaz « non » conventionnels

mardi 1er mars 2011, par Jacques Maratier (ECN 69)

Historique


Pendant de nombreuses années, la production de gaz naturel se situe au niveau « d’annexe » de l’exploration pétrolière ; le prix du gaz est corrélé tant bien que mal avec celui du pétrole brut mais sa modeste valorisation reste assujettie aux difficultés qui résident dans son transport et son utilisation.

Par ailleurs, les gaz dits non conventionnels, connus depuis très longtemps, n’ont été exploités que récemment, suite à l’amélioration technique et économique de leur extraction.

L’intérêt porté à ces gaz débute aux États-Unis dans la première moitié des années 1970 avec la production du « tight gas » grâce aux innovations technologiques dans le forage directionnel et dans les techniques de production appliquées aux formations peu perméables, le tout encouragé par une fiscalité favorable. Suivront, dans le milieu des années 1980, le démarrage de la production du gaz de schiste et celui du gaz de houille. Aujourd’hui plus de 50 % du gaz naturel consommé aux États-Unis est d’origine gaz non conventionnel.

Dernièrement, pour des raisons économiques, et géopolitiques, l’engouement pour ce type de gaz naturel s’est répandu hors des USA et sur tous les continents. Leur exploration et production sont aujourd’hui aux mains des grandes compagnies pétrolières traditionnelles, mais aussi aux mains de nouveaux acteurs indépendants.

Les différents types de gaz non conventionnels (GNC)


Pour simplifier, disons que les GNC regroupent les gaz qui ne sont pas associés à une production « classique » d’hydrocarbures. Une fois produits, ils ont les mêmes caractéristiques chimiques donc énergétiques que le gaz naturel traditionnel.

Chaque type de ces GNC nécessite généralement des techniques de production spécifiques.

Voici donc les principaux GNC répertoriés aujourd’hui (sans ordre significatif) : Le gaz de formations compactes (ou « Tight gas »)

Ce gaz est proche du gaz « conventionnel » mais est contenu dans des roches faiblement poreuses et/ou pratiquement imperméables. Pour pouvoir l’extraire, il faut faire appel à des techniques d’optimisation de l’orientation des forages, combinées à la fracturation et l’acidification de la roche réservoir ; il faut aussi prévoir des schémas innovants de répartition des puits producteurs. Le drainage de ce gaz est donc plus onéreux que celui d’un gaz conventionnel, les pourcentages de récupération sont aussi généralement plus faibles ; cependant la quantité potentiellement disponible et la maîtrise des techniques de production ont rendu ce type de gaz attrayant.

Le gaz de schiste (ou « shale gas »)

Le gaz de schiste réside dans les roches mères argileuses, laminées, où il a été formé. De grosses réserves potentielles de ce type de gaz ont été identifiées, cependant le pourcentage de récupération restera limité. Les techniques de production de ce type de gaz se développent et aujourd’hui sa production augmente d’année en année.

Les techniques de production incluent obligatoirement des méthodes de stimulation sophistiquées pour ce genre de réservoirs.

Le gaz de houille (ou CBM pour Coal Bed Methane)

Ce qui était autrefois un sous-produit de l’industrie du charbon est aujourd’hui une source d’énergie à part entière. Ce gaz, connu aussi sous le nom de « grisou », est né conjointement avec la formation des filons de charbon et il y est resté piégé. Une fois de plus la production de ce gaz va nécessiter l’utilisation de drains forés dans le sens des couches et une stimulation des zones détentrices. Cette production est en général plus délicate et une modélisation permanente du réservoir aidera à prévoir et à contrôler la production.

Souvent, cette production est associée avec une production d’eau qui va nécessiter une gestion spécifique (traitement et retour).

Les hydrates de méthane

Ce sont des cristaux d’eau et de méthane qui reposent au fond des océans ou dans les régions terrestres arctiques. Leurs réserves identifiées sont considérables, elles pourraient représenter jusqu’à plus de 100 % des réserves fossiles déjà connues. Ces sources de gaz restent aujourd’hui inexploitées du fait des coûts ou des difficultés que leur localisation et leur environnement impliqueraient pour une exploitation à grande échelle.

Technique, économie et politique


L’évaluation et l’exploitation de cette nouvelle source potentielle d’énergie se poursuivent dans de nombreux pays du monde.

En ce qui concerne la technique :

Les techniques d’exploitation des GNC ne sont pas nouvelles, l’existence de ces hydrocarbures est connue depuis le début de cette industrie, seuls les coûts de production étaient un frein à leur développement.

Des centaines de milliers de forages traversent les nappes phréatiques dans le monde entier et ce depuis presque un siècle. Les techniques de cuvelage, en puits vertical ou dévié, assurent l’étanchéité des différentes couches géologiques traversées par le puits, elles sont utilisées avec succès depuis longtemps. Bien entendu les législations, les réglementations à leur sujet, et la surveillance mise en place peuvent varier d’un pays à un autre.

Par exemple, il existe dans le Bassin Parisien plus de 5000 puits actifs depuis de nombreuses années et sans que la nappe phréatique en soit affectée ; en France, le BRGM (Bureau de Recherche Géologique Minière) surveille en particulier l’intégrité de ces nappes dans tout le pays.

Consultez également cet article dans le Flash n°22
Bien que le risque zéro n’existe pas, il paraît donc relativement improbable d’évoquer une pollution potentielle des nappes phréatiques dans le cas de l’exploitation des GNC en France ou ailleurs.

De même, les techniques de stimulation des roches réservoirs existent et sont utilisées sans risque particulier depuis plus de 50 ans. Ces techniques ont progressé et ont été affinées au fur et à mesure des progrès technologiques de l’exploration pétrolière et en particulier avec le développement du forage directionnel.

Dans le cas des gisements à très faible porosité, la technique de fracturation de la roche est utilisée pour faciliter l’écoulement des fluides en place. Les produits typiquement injectés au cours de cette fracturation, sont principalement de l’eau, du sable, ses agents propulseurs et occasionnellement de l’acide ou d’autres produits chimiques pour réduire certains composants de la matrice.

Les quantités d’eau utilisées au cours de ces fracturations et leur gestion n’ont rien d’exceptionnel aujourd’hui ; ces quantités d’eau varient en fonction des caractéristiques du gisement concerné.

En ce qui concerne l’économie :

Le développement de ces gaz se fait sur la réalité économique de cette source d’énergie sur un marché mondial. Il doit bien entendu intégrer le coût des différentes contraintes et réglementations nationales relatives d’une part à sa mise en production et d’autre part à sa future production.

Il faut donc pour chaque projet prouver indépendamment sa viabilité économique. Ce processus passera, une fois les périmètres d’exploration accordés, par l’identification géologique de réservoirs potentiels, le forage d’un ou plusieurs puits d’exploration, l’interprétation des tests de production et l’évaluation de la dimension du gisement. Seules des réponses positives à chacun de ces points permettront de prendre la décision de poursuivre la mise en œuvre du développement.

Quant à la politique :

Chaque pays établit une politique en fonction de ses ambitions, de ses besoins et des problèmes environnementaux que peuvent poser l’extraction des GNC et en particulier celle des gaz de schiste.
En France, pour le moment, la décision de poursuivre de tels projets semble devoir attendre pendant encore plusieurs mois les conclusions des comités mis en place par le gouvernement pour s’assurer de l’innocuité sur l’environnement de ces extractions, ou pour le moins des précautions à prendre pour la préserver. Chacun d’entre nous reste donc libre d’apprécier le bien-fondé de ces analyses, qui sont pourtant une sage réponse aux inquiétudes que soulèvent ces nouveaux projets, dans le contexte réel et concret où ils se situent.

Les gaz non conventionnels dans le monde

La géopolitique du gaz naturel se retrouve considérablement modifiée du fait de l’émergence de ces GNC. Les grands producteurs de gaz, déjà affaiblis par la crise économique, pourraient voir leur domination réduite encore un peu plus avec cette arrivée. Le prix du gaz devrait baisser en conséquence. Les gisements de GNC sont aussi plus uniformément répartis autour du monde que ceux de gaz traditionnel. Nombreux sont les pays qui voient là un moyen de faire baisser leur facture énergétique.

L’activité des GNC est arrivée à maturité en Amérique du Nord au cours des trois dernières décennies. Ce type de gaz y est aujourd’hui une source d’énergie très compétitive. Les États-Unis sont devenus un pays exportateur de gaz.

Cette activité arrive aussi à maturité en Australie avec en particulier la production de gaz de charbon.

La Russie, bien entendu, un des premiers exportateurs de gaz du monde a commencé à produire des GNC en Sibérie mais, surtout, est en train de remettre en cause ses stratégies d’investissements pour la distribution et la vente de son gaz traditionnel.

Les autres pays, au vu de ces résultats, ont donc récemment démarré l’évaluation de leur potentiel de réserves de ce type de gaz.

En première ligne, la Chine aujourd’hui grand demandeur d’énergie, a fait une de ses priorités la production de gaz de schiste. La Chine a donc passé des accords avec les États-Unis pour partager les technologies d’extraction. Des accords de coopération sont négociés avec les multinationales pétrolières pour initier des projets dans les provinces chinoises.

L’Europe semble posséder un potentiel GNC intéressant, estimé, pour le moment comme plus modeste que celui de l’Amérique du Nord. Ce potentiel n’est pas encore parfaitement évalué.

Cette activité se développe aujourd’hui en Europe ; les conditions d’exploitation sont très différentes de celles de l’Amérique du Nord que ce soit dans les domaines des coûts, de l’environnement ou des législations sur le contenu du sous-sol.

L’Europe y voit vraisemblablement un moyen de se dégager de l’étreinte du puissant monopole du gaz russe.

Ressources globales en gaz non conventionnels en Tm3
Tight gas CBM Shale gas Total
Moyen-Orient et Afrique du Nord 23 0 72 95
Afrique sub-saharienne 22 1 8 31
Ex-URSS 25 112 18 155
Asie Pacifique 51 49 174 274
Asie centrale et Chine 10 34 100 144
OCDE Pacifique 20 13 65 99
Asie du Sud 6 1 0 7
Autres 16 0 9 24
Amérique du Nord 39 85 109 233
Amérique latine 37 1 60 98
Europe 12 8 16 35
Europe centrale et de l’Est 2 3 1 7
Europe de l’Ouest 10 4 14 29
TOTAL 210 256 456 921
Source : AIE, World Energy Outlook, 2009

Nombreux sont les autres pays qui se lancent ou vont se lancer dans cette aventure : l’Inde, l’Indonésie, l’Amérique du Sud sans oublier l’Afrique du Nord.

Finalement, les GNC n’auront bientôt de non-conventionnel que leur nom.

Consultez également cet article dans le Flash n°22

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