Accueil > Publications > La déconstruction des Installations Nucléaires de Base (INB) par EDF, une (...)

La déconstruction des Installations Nucléaires de Base (INB) par EDF, une expérience acquise depuis plus de 10 ans

samedi 1er février 2014, par Jean-Claude Bordier (ECLy 69), Sébastien Charreire (ECLi 01)

Cet article reprend les principaux thèmes abordés lors la conférence co-organisée par Centrale-Energies et le Groupement des Techniques Avancées et Nucléaires le 24 octobre 2013 et animée par Bertrand MARTELET, Directeur du Centre d’Ingénierie Déconstruction et ENvironnement (CIDEN) d’EDF.

Après avoir rappelé le contexte réglementaire dans lequel s’inscrivent les activités de démantèlement des installations nucléaires, Bertrand Martelet a présenté les différents enjeux de cette phase importante du cycle nucléaire souvent mal connue du public et dans laquelle la France dispose d’une réelle et importante expérience.

Un contexte réglementaire précis

La déconstruction des installations nucléaires s’inscrit en France dans un cadre réglementaire précis prescrivant à la fois la stratégie générale de démantèlement à appliquer ainsi que le principe de financement. Pour rappel, l’AIEA définit 3 stratégies de démantèlement :
- Confinement sûr : consiste à assurer un confinement sécurisé sur le site même, ce qui a pour conséquence de maintenir le site sous statut nucléaire et revient à rendre le site non réutilisable sauf pour d’autres usages nucléaires.
- Démantèlement différé : le projet de démantèlement démarre une trentaine d’année après l’arrêt de l’installation. Les activités radiologiques sur site sont réduites mais cette stratégie ne permet pas de bénéficier directement des connaissances et expériences des exploitants. Elle fait de plus porter la responsabilité de la déconstruction sur les générations futures.
- Démantèlement immédiat : le démantèlement est initié dès l’arrêt de l’installation, ce qui permet de bénéficier des compétences des exploitants et de l’historique de l’exploitation. En contrepartie, il est nécessaire de disposer de solutions pour gérer les déchets nucléaires.

EDF applique depuis 2001 la stratégie de démantèlement immédiat, ou plus exactement « dans des délais aussi brefs que possible », au sens de l’arrêté INB publié en 2012 consécutivement à la loi de Transparence et de Sûreté Nucléaire, dite « loi TSN » de 2006. Ces lois confirment la responsabilité des exploitants nucléaires pour toutes les opérations nécessaires jusqu’au démantèlement complet des INB. Elles imposent par ailleurs aux exploitants nucléaires de constituer dès le démarrage de l’exploitation, des provisions pour opérer ce démantèlement. En ce qui concerne EDF ces provisions sont couvertes par des actifs dits « dédiés sûrs » qui permettent de garantir de manière durable la disponibilité des fonds. Ces provisions, constituées dans le temps et intégrées au prix de vente de l’électricité, sont de l’ordre de 2,2 milliards d’euros 2012 pour les réacteurs de génération I et de 10,4 milliards d’euros 2012 pour le parc en exploitation.

Les déchets, un enjeu majeur du démantèlement

En France, les modalités de gestion des déchets radioactifs sont définies dans le Plan National de Gestion des Matières et des Déchets Radioactifs (PNGMDR), issu de la loi du 28 juin 2006. Si la responsabilité financière des déchets incombe aux Producteurs, la conception, la construction et l’exploitation des centres de stockage sont confiées à l’Agence Nationale des Déchets Radioactifs (l’Andra est un EPIC créé en 1991).
Les solutions de gestion opérationnelles des déchets – ou exutoires – varient en fonction de la nature des déchets.

tab dechets nuc

invent déchets nuc

Plus de 80% des déchets sont de nature « conventionnelle » (gravats…). Néanmoins, au sein d’une INB, si un déchet provient d’un périmètre classé nucléaire, il est considéré comme un déchet nucléaire, indépendamment de son activité radiologique. Cette spécificité française :
- Permet un suivi extrêmement sûr et précis des déchets.
- Mais exige aussi un traitement spécifique, long et coûteux.

Exemple : les 2.000 t de métal des boucles secondaires de la centrale au sodium de Creys-Malville ont dû être stockées dans le centre CIRES alors que leur taux de radioactivité est extrêmement faible, à un niveau où la réglementation de la plupart des autres pays aurait permis de les traiter comme des déchets non nucléaires.

Dans l’attente d’une solution de stockage géologique des déchets à moyenne activité vie longue et à haute activité, EDF a entrepris la construction d’une installation intermédiaire sur le site de la centrale du Bugey. Cette installation doit permettre d’entreposer sur une surface de 8.000 m², pour une durée limitée (50 ans), les déchets de moyenne activité à vie longue ; soit 300 tonnes issues de la génération I et, à plus long terme, 1.500 tonnes issues des réacteurs existants de génération II (principalement des éléments issus des blocs réacteurs). Le chantier de construction rencontre des difficultés suite à de nombreux recours d’opposants au projet.

Les enjeux industriels du démantèlement

EDF gère actuellement le démantèlement des 9 centrales de la première génération : Chooz, Brennilis, Chinon, St-Laurent, Bugey et Creys-Malville. Cependant, chaque réacteur requiert une stratégie de démantèlement bien particulière, en effet chaque réacteur est spécifique par sa technologie, son historique de production et sa situation. De plus les sites de production de Chooz, Bugey, Chinon et St-Laurent contiennent par ailleurs des réacteurs actuellement en exploitation.

réacteurs en déconstruction

Le processus de démantèlement est prévu pour durer entre 15 et 20 ans et comporte 3 étapes :

1. Mise à l’arrêt : sortie du combustible et vidange du circuit primaire : 99,9% de la radioactivité est alors évacuée.

2. Démantèlement partiel : tous les composants jusqu’au bloc réacteur.

3. Démantèlement du bloc réacteur.

Aujourd’hui le programme de démantèlement des 9 réacteurs EDF progresse conformément au planning, avec des projets pour lesquels EDF démarre la dernière étape (Brennilis, Chooz et Creys en particulier).

Ces projets requièrent la mobilisation d’une main d’œuvre relativement importante mais inférieure à celle nécessaire à l’exploitation ; ainsi, 100 à 300 personnes peuvent être mobilisées sur un site pour des activités de découpe, de levage et de conditionnement. De fait, la sécurité des personnes face à la radioprotection et aux risques conventionnels de ce genre de chantier est donc un enjeu majeur.

Les activités de démantèlement sollicitent de très nombreux savoir-faire et exigent le développement de nombreuses innovations dans lesquelles toute la filière nucléaire est investie (CEA, AREVA, EDF, …). On peut citer l’exemple de la conception de la première usine au monde de traitement industriel de sodium (métal explosif et inflammable lorsqu’il est sous forme liquide) provenant de SuperPhénix et le développement d’un robot laser pour perforer les zones de rétention de sodium dans les tronçons horizontaux du circuit primaire. Certaines de ces innovations profitent d’ailleurs du retour d’expérience d’autres pays comme les Etats-Unis (découpage de cuve sous eau, recherche sur un démantèlement initié à partir du bloc réacteur…). Il est à noter que les réacteurs de nouvelle génération intègrent la problématique de démantèlement dès la conception.

Les autres enjeux du démantèlement

Les défis à relever lors des activités de démantèlement ne sont pas qu’industriels. En effet, la protection du public, des salariés et de l’environnement doit être une priorité absolue.

En outre, les projets de déconstruction, à l’instar des projets de construction de nouvelles centrales, sont des projets globaux faisant intervenir un grand nombre de parties prenantes qu’il faut coordonner et piloter et dont il faut entretenir les compétences. Par exemple, dans le cadre de la déconstruction de la centrale de Creys, plus de 30 entreprises sont impliquées.

L’acceptabilité du public est un élément majeur, comme en témoignent le nombre de recours administratifs opposés au projet de Brennilis depuis son arrêt en 1985 (annulation par deux fois du décret de démantèlement complet) ou encore les freins aux projets d’entreposage et de stockage des déchets nucléaires, alors même que les stratégies de décroissance du nucléaire sont souhaitées par les mêmes opposants. Ainsi, des cahiers des charges sociaux ont été mis en place. Ils constituent une pièce structurante du dossier de l’appel d’offre et sont élaborés par les exploitants, les fédérations professionnelles, les prestataires, les partenaires sociaux et les services de l’Etat, sous la supervision de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Ils précisent les règles de transparence communes à l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire et sont, notamment avec les Centres d’information du public et les Commissions Locales d’Information, des éléments qui permettent d’assurer proximité, pédagogie et ouverture. Les citoyens sont informés sur la nature des travaux, sur les obligations des exploitants, sur l’avancement physique, sur les problématiques de sûreté et de coût ainsi que sur la gestion des déchets.

A l’heure où le sujet de la stratégie de politique industrielle de la France fait l’actualité, il est bon de garder en tête que notre pays dispose, face aux perspectives immenses de ce marché en très forte croissance (140 réacteurs arrêtés dans le monde, 150 autres d’ici 2025), d’un atout majeur sur la scène internationale au travers des savoir-faire et des expertises accumulés par sa filière de déconstruction nucléaire depuis plus de 10 ans.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°38.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.