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Le système des brevets et les tendances qui se dessinent dans le domaine des énergies alternatives

mercredi 1er février 2017, par Alexandre Pourrier (ECM 2014)



Le système des brevets d’invention est un système complexe permettant à un inventeur ou une entreprise d’obtenir un monopole légal sur son invention en échange d’une divulgation claire et complète de cette invention. Outre la source importante d’informations techniques que confère ce système, de nombreuses autres informations peuvent être extraites des bases de données brevet et compilées afin d’en tirer des tendances, notamment stratégiques et économiques. Ainsi, après une présentation des grands principes du système des brevets d’invention, seront examinées les tendances qui se dessinent dans le domaine des énergies alternatives.



Les grands principes du système des brevets d’invention

Afin de mieux appréhender les tendances que l’on peut dégager, il apparaît intéressant de regarder plus en détail le système des brevets d’invention en tant que tel, tant d’un point de vue philosophique que d’un point de vue fonctionnel. Il faut tout d’abord comprendre que le système des brevets est né de l’inquiétant constat que pour rester compétitif, la majeure partie des industriels conservait au secret les progrès technologiques qu’ils initiaient. Cette mise au secret systématique des informations était dès lors perçue par la communauté scientifique comme un frein à l’accès aux connaissances et par là même à l’innovation. Le système des brevets d’invention prit alors naissance avec pour objectif premier le partage des connaissances dans le but d’offrir la possibilité à chacun de prendre part au progrès technologique. Il est intéressant de voir que le mot anglais correspondant “Patent” a pris d’ailleurs ses origines du latin “patere”, qui signifie "être accessible". Le système des brevets est donc, avant tout, une source d’informations techniques.

Cependant, en contrepartie d’une divulgation publique détaillée de l’invention, le brevet confère à l’inventeur ou son ayant droit, un ensemble de droits exclusifs octroyé par un Etat pour une durée déterminée. Le brevet confère donc un droit territorial et il est ainsi nécessaire pour une même invention de déposer une demande de brevet dans chacun des pays pour lequel une protection est désirée. En particulier, un brevet confère, d’un point de vue légal, le droit d’interdire aux tiers de fabriquer, utiliser, vendre, offrir à la vente ou importer l’invention objet du brevet sur le territoire jusqu’à échéance du brevet, qui est habituellement de 20 ans à compter de la date de dépôt, sous réserve du paiement des annuités de maintien en vigueur. Il est ici intéressant de noter qu’un brevet qui est un droit d’interdire ne confère aucunement à son propriétaire un droit d’exploiter son invention. C’est notamment le cas pour les inventions de perfectionnement d’un produit initialement breveté par un tiers. Pour pouvoir mettre en œuvre son perfectionnement, le titulaire du brevet de perfectionnement devra demander au titulaire du brevet relatif au produit initial de lui céder un droit d’exploitation de ce produit initial. Mais alors, comment obtenir ce droit d’interdire ?

Pour obtenir un brevet, il faut d’abord déposer une demande de brevet auprès de l’office national ou régional du pays ou de la région pour lequel ou laquelle une protection est désirée. Lorsqu’une protection est voulue dans plusieurs pays, une pratique courante consiste à commencer par un premier dépôt dans le pays où se situe le siège de l’entreprise puis d’en étendre la protection via des dépôts à l’étranger dans un délai, dit délai de priorité, de 12 mois suivant le premier dépôt. Une fois cette demande déposée, plusieurs étapes, explicitées sur la chronologie (fig.1), sont alors nécessaires avant d’obtenir la délivrance d’un brevet. En pratique, la délivrance d’un brevet n’intervient que 3 à 5 ans en moyenne après le dépôt de la demande, beaucoup plus tard dans certains pays. Une des étapes clefs de la procédure de délivrance d’un brevet, est l’émission par l’office, généralement dans un délai de 4 à 8 mois suivant le dépôt de la demande de brevet, d’un rapport de recherche répertoriant tous les documents trouvés par l’office et ayant un lien étroit avec l’invention pour laquelle un brevet est demandé. Le rapport de recherche est accompagné d’une opinion écrite d‘un examinateur donnant un premier avis sur les chances d’obtention d’un brevet au vu des documents cités dans ce rapport de recherche. Cette opinion tente de déterminer si l’invention pour laquelle est demandé un brevet respecte des critères de brevetabilité, notamment si l’invention est nouvelle, inventive et susceptible d’application industrielle. Une autre étape clef de la procédure de délivrance d’un brevet est la publication de la demande de brevet 18 mois après son dépôt. A partir de ce moment la demande de brevet et les informations qui lui sont liées sont alors accessibles au public via des bases de données spécialisées.

Plusieurs bases de données brevet sont accessibles gratuitement via internet, c’est par exemple le cas de Google Patents, de Patentscope ou encore de la plus exhaustive d’entre-elles, Espacenet qui donne accès à plus de 90 millions de brevets délivrés ou demande de brevets déposés dans plus de 90 pays à travers le monde. Toutes ces bases de données possèdent des outils de recherche avancée permettant d’effectuer des recherches thématiques, par mots clefs, par déposant, par inventeur, par pays, par date de dépôt ou de publication, ou encore par classe. Une classe est un code alphanumérique correspondant à un domaine technique particulier. En 2010, cette classification a par ailleurs évolué avec l’introduction d’une nouvelle classe Y02 relatives aux technologies permettant l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique, autrement dit, une classe spécifique aux énergies alternatives.

Une grande quantité d’informations sont disponibles au travers de ces bases de données tant techniques, que chronologique, identificatoire, ou encore juridique. Ces informations permettent de dégager des tendances et d’évaluer certains risques. En particulier, selon les critères de recherche, il est possible d’analyser l’évolution d’un sujet R&D au cours du temps, d’en déterminer sa maturité, d’identifier les solutions privilégiées mais également les axes de recherches qui n’ont pas encore été explorés, d’évaluer les risques de contrefaçon potentielle, d’identifier les principaux concurrents, les partenaires potentiels, et dans une certaine mesure, d’évaluer la performance économique d’une entreprise dans un segment donné.

Il existe cependant des limites aux tendances extractibles via ces bases de données. Dès lors que ces informations ne sont généralement publiées que 18 mois après le dépôt de la demande de brevet, et que le dépôt fait suite à plusieurs mois de recherche et développement (R&D) en interne, il n’est possible d’analyser que des tendances reflétant une activité vieille de 2 ans. Pour autant, ces données restent précieuses, puisque la plupart du temps elles sont les rares à être accessibles, les programmes de R&D étant majoritairement conduits dans la plus grande confidentialité. Mais du coup, quelles tendances se dessinent dans le domaine des énergies alternatives ?



Les énergies alternatives vues à travers le système des brevets d’invention

De nombreuses études basées sur l’analyse de ces données brevet ont été publiés ces dix dernières années. En particulier, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), l’Office Européen des Brevets (OEB), le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le Centre International pour le Commerce et le Développement Durable (ICTSD), ou encore l’Agence Internationale pour les Energies Renouvelables (IRENA), se sont penchés sur le sujet des énergies alternatives.

Le rapport intitulé Patent-based Technology Analysis Report – Alternative Energy Technology, et publié par l’OMPI en 2010, dresse un bilan des tendances technologiques par pays. En se rapportant au planisphère (fig.2) extrait de ce rapport, il apparait qu’au moment du rapport l’énergie marine (OCN) et l’énergie éolienne (WIN) sont majoritairement développées en Europe, que la Chine porte un intérêt tout particulier à l’énergie hydraulique (HYD), que les biocarburants (BIO) sont une préoccupation américano-européenne, et que l’énergie solaire (SOL), l’hydrogène et les piles à combustible (H&FC) génèrent un engouement mondial.

Ce rapport fait également un parallèle intéressant entre l’environnement politique et le nombre de dépôts de demandes de brevet. Ainsi, l’implication gouvernementale au travers de subvention à destination de la R&D dans le domaine des énergies alternatives se traduit par une augmentation significative des dépôts de demandes de brevet dans les pays concernés. Cependant, dans certains cas, cette influence peut au contraire s’avérer perturbatrice. Ainsi, il semble que l’alternance entre la promotion par les pouvoirs publics des énergies alternatives et celle des énergies fossiles et nucléaire aux Etats-Unis coïncide avec des pics de dépôts de demandes de brevets, faisant ainsi apparaitre une certaine perte de confiance des investisseurs dans le marché des énergies alternatives lorsque ces dernières ne semblent plus supportées par le gouvernement.

Une étude plus récente, intitulée Renewable Energy Technology : Evolution and Policy Implications - Evidence from Patent Literature, et publié en 2015 par l’OMPI en partenariat avec CambrigeIP, une société de consultants dans le domaine de la Propriété Industrielle, se concentre sur l’évolution, d’un point de vue brevet, des biocarburants, des énergies solaires thermique ou photovoltaïque et de l’énergie éolienne. Le diagramme (fig.3) tiré de cette étude, et représentant l’évolution des dépôts mondiaux de demandes de brevet de 1975 à 2011, illustre une augmentation du nombre de dépôts à partir de la fin des années 90 pour l’ensemble de ces énergies, avec un essor tout particulier du photovoltaïque à partir du milieu des années 2000 suivi par l’éolien et le solaire thermique. Ceci démontre un intérêt économique grandissant pour ces secteurs d’activité et témoigne d’un développement technologique important et innovant.

A travers une série de diagrammes (fig.4 à 7) représentant la répartition par pays des dépôts de demandes de brevet, l’étude souligne l’émergence particulièrement forte de la Chine et dans une moindre mesure de la Corée dans le domaine des énergies alternatives à partir des années 2006, au détriment du Japon qui faisait figure de précurseur dans le domaine jusqu’en 2005.

L’hégémonie asiatique se confirme en s’intéressant au classement (fig.8), dressé dans cette étude, des 20 plus gros déposants dans les domaines des biocarburants, des énergies solaires thermique ou photovoltaïque et de l’énergie éolienne tout confondu. En effet, 17 des 20 plus gros déposants sont asiatiques, parmi eux figurent les deux premiers LG pour la Corée suivi de Mitsubishi pour le Japon, les Etats-Unis arrivant en troisième position avec General Electric. Le plus gros déposant chinois, l’Institut de Recherche de Technologie Industrielle, se classe quant à lui 17ème. La grande quantité de firmes japonaises dans le classement s’explique d’une part par le fait que les industriels japonais sont particulièrement actifs dans le domaine du photovoltaïque, qui rappelons le, et à la lumière du diagramme de la figure 3, est une technologie dans laquelle le nombre de dépôts de brevet est très supérieur à celui dans les autres technologies étudiées, et d’autre part par une plus grande concentration industrielle que dans d’autres pays comme la Chine. Ainsi, cette dernière tire sa puissance dans le domaine des brevets de sa démographie et du grand nombre d’entreprises qu’elle comporte dans les secteurs de l’énergie, qui prises individuellement déposent moins de brevets que les entreprises japonaises, mais qui en cumulé fait de la Chine un acteur de premier plan.

L’étude fait également ressortir une augmentation de l’utilisation du système international de dépôt de brevet (PCT), procédure centralisée offrant l’accès via un unique dépôt aux systèmes de brevet de 151 pays, qui démontre ici une volonté de protéger les inventions à l’international et pas seulement dans le pays du déposant. Le marché aurait donc une forte tendance à la mondialisation.

Une étude intitulée Climate Change Mitigation Technologies in Europe – Evidence From Patent and Economic Data, et réalisée par le PNUE et l’OEB en 2015, s’intéresse de manière plus globale aux Technologies permettant l’Atténuation du Changement Climatique (TACC). L’étude classe l’Europe prise dans sa globalité comme le premier acteur de ces technologies. Les inventeurs européens seraient responsables d’environ 40% des inventions mondiales dans ce domaine avec une prédilection pour la distribution intelligente d’énergie et la captation du dioxyde de carbone. Au sein de l’Europe, 80% des inventions proviennent de 5 pays avec en large tête l’Allemagne.

Son étude jumelle intitulée Patents and Climate Change Mitigation Technologies in Latin America and the Caribbean, réalisée par le PNUE et l’OEB en 2014, donne un état des lieux des TACC en Amérique Latine où les énergies alternatives fournissent près de 30% des besoins énergétiques locaux. Si moins de 3% des inventions concernant les TACC proviennent d’Amérique Latine, avec une domination nette du Brésil, il est intéressant de constater que pour plus de la moitié des dépôts réalisée initialement au Brésil, une protection est également demandée à l’étranger, ceci démontrant l’intention brésilienne de s’imposer dans un marché mondial. Egalement, le nombre important de co-inventions réalisées en partenariat avec des inventeurs américains ou européens suggère une forte coopération internationale en matière de R&D.

De la même manière, une étude intitulée Patents and Clean Energy Technologies in Africa, également réalisée conjointement par le PNUE et l’OEB et publiée en 2013, se penche sur le cas du continent africain. A l’image de l’Amérique Latine, l’activité en matière de brevet est très limitée, moins de 1% des dépôts mondiaux. Pour autant, le dépôt de demandes de brevet dans le domaine des TACC a augmenté de 59% entre 1980 et 2009, bien plus que dans n’importe quel autre domaine. En particulier, un certain dynamisme est décelé dans le domaine des biocarburants, de l’énergie solaire thermique, de captation et du stockage du dioxyde de carbone, et de la transformation des déchets en énergie. A l’image du Brésil pour l’Amérique Latine, l’Afrique du Sud domine sur le continent africain en matière de dépôts, suivie par l’Egypte, l’Algérie, le Maroc et le Kenya. De nombreuses co-inventions suggèrent ici aussi un partenariat international développé.

Ainsi, l’analyse faite de données relatives aux brevets ou demandes de brevet indique que, partout dans le monde, et chacun à son niveau, l’intérêt porté aux énergies alternatives est grandissant. Si l’Europe, prise dans son ensemble, peut se targuer d’être à la première place des déposants, le constat est tout autre lorsque que la classification est faite par pays, la Chine apparaissant alors comme le nouveau géant en la matière. En ce qui concerne les pays les moins avancés dans le domaine, les programmes de R&D semblent miser sur des coopérations à l’international pour développer leur propriété industrielle et tenter de prendre leur place sur le marché mondial. N’en demeure pas moins qu’un grand nombre de ces énergies alternatives n’en est qu’à son balbutiement, et à voir comment le géant d’hier, le Japon, a été détrôné par le géant d’aujourd’hui, la Chine, on ne peut que se demander qui sera le géant de demain.



Retrouvez également cet article dans le Flash n°53.

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