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Les conditions et les conséquences de l’émergence des microgrids (Flash n°58)

jeudi 1er mars 2018, par Jacques ARBEILLE (Manager ENEA) (ECP 06) et Luc PAYEN (Manager ENEA)

RESUME

  • La baisse importante des coûts des énergies renouvelables et du stockage favorise l’émergence de projets d’autoconsommation dans le monde
  • Face à ces évolutions, certains acteurs choisissent de piloter leur approvisionnement en électricité à la maille locale, allant jusqu’à permettre aux réseaux locaux de fonctionner indépendamment du réseau principal, on parle alors de microgrids [1]
  • Le pilotage des microgrids et de la flexibilité qu’ils apportent peut devenir un véritable outil pour une transition énergétique économique, écologique et garantissant une sécurité d’approvisionnement, à même de questionner la conception actuelle des réseaux et du système électrique
  • L’anticipation des bouleversements réglementaires et organisationnels associés sera un facteur clé de succès pour les acteurs du marché de l’énergie

La baisse des coûts des énergies renouvelables et du stockage d’énergie permet le développement de l’autoconsommation

Les énergies renouvelables, dont les coûts n’ont cessé de baisser ces dernières années, sont présentes à tous les niveaux du réseau et bouleversent le modèle centralisé de la production électrique. Les projets dits utility scale, de plusieurs dizaines de MW et directement raccordés au réseau public d’électricité, ont particulièrement impacté les marchés récemment. Avec des prix qui étaient de l’ordre de 75 à 90 €/MWh en 2013 [analyse ENEA], certains projets solaires de cette catégorie, dans des zones fortement ensoleillées, sont désormais rentables à des prix de vente inférieurs à 15 €/MWh [1]. Les projets de plus petites tailles et situés en amont du compteur électrique de sites consommateurs ne sont pas non plus en reste. Les récents résultats des appels d’offres CRE pour des projets en autoconsommation locale [2] en France montrent par exemple que les projets solaires de plus de 100 kW sont proches d’être viables sans recourir à des subventions. Ceux-ci requéraient pourtant une prime de l’ordre de 40 €/MWh il y a à peine deux ans.
Suivant la même trajectoire, le stockage d’énergie constitue une solution de plus en plus économique pour compenser l’intermittence des renouvelables. Connu depuis longtemps sous certaines de ses formes de grande taille, comme les barrages ou les STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage), le stockage revêt depuis quelques années une nouvelle forme, avec l’apparition sur le marché de l’électricité des batteries électrochimiques. Poussée par l’industrie des véhicules électriques, cette technologie a divisé ses coûts par deux entre 2013 et 2016 et commence à être associée de plus en plus systématiquement à des sources de production renouvelable. Le récent appel d’offres lancé par l’énergéticien américain Xcel Energy aux Etats Unis a par exemple dévoilé des offres combinant production éolienne et stockage à 18 €/MWh [2] démontrant ainsi que le stockage à grande échelle devient compétitif.
Ces tendances à la baisse des coûts bouleversent les équilibres économiques du système électrique et font apparaître de nouveaux modes d’autoconsommation. On constate en effet que de nombreux consommateurs isolés ou regroupés décident désormais d’investir dans des sources de production d’énergie, couplées à des batteries afin de limiter, voire d’annuler temporairement leur dépendance au réseau public d’électricité. Un exemple de ce type de projet est celui de la prison de Santa Rita en Californie. Depuis 2012, le site dispose d’une puissance photovoltaïque de 1,5 MW, couplée à une pile à combustible de 1,2 MW et une batterie au lithium-ion de 2 MW. Cela lui permet de réduire considérablement sa dépendance au réseau électrique et même de s’en déconnecter pendant quelques heures. Le site assure ainsi sa sécurité d’approvisionnement tout en limitant ses émissions de CO2, sa consommation d’électricité étant fortement produite à partir de sources d’énergie renouvelable [3].
Les microgrids peuvent permettre d’optimiser localement un système électrique sur trois critères : la fiabilité d’approvisionnement, la part d’énergies renouvelables et le coût
Des projets d’autoconsommation comme celui de Santa Rita se multiplient et on constate que de plus en plus de réseaux locaux (hôpitaux, bases militaires, centres de recherche, aéroports, écoquartiers…) se transforment en véritables microgrids. On parle de microgrid lorsqu’un réseau local de petite taille, desservant des installations consommatrices d’électricité, s’équipe de capacités de production et de stockage et est capable de fonctionner en îlotage, c’est-à-dire de manière indépendante du réseau principal. Une étude réalisée par ENEA en 2017 sur les microgrids urbains [4] a dénombré trois facteurs incitant des consommateurs à transformer un réseau local en un véritable microgrid. Le premier facteur correspond à la sécurité d’approvisionnement, comme l’illustre le cas du microgrid de Santa Rita. Le microgrid agit alors comme une assurance permettant au site d’être autonome en cas de défaut du réseau public d’électricité. Le souci de consommer une énergie moins carbonée constitue également un argument fort justifiant son déploiement. C’est le cas de Santa Rita mais également d’un certain nombre d’écoquartiers cherchant à augmenter le taux de pénétration local d’énergies renouvelables. Le troisième facteur est économique et c’est souvent la promesse d’une diminution de la facture énergétique qui justifie le déploiement d’un tel projet. Le cas d’un écoquartier a par exemple été modélisé par ENEA dans le cadre de son étude de 2017. Celle-ci a notamment souligné que la combinaison solaire et stockage, distribuée au niveau des consommateurs, permettait d’augmenter fortement la production locale de renouvelable (jusqu’à 50% de la consommation annuelle du site) tout en réduisant la pointe de consommation et donc la puissance du raccordement au réseau. D’après les calculs réalisés dans le cadre de cette étude, ce passage en autoconsommation partielle ne coûtait pas plus cher à l’utilisateur final.

Figure 1 - Les trois facteurs justifiant le déploiement d’un microgrid

Les schémas d’autoconsommation sur des réseaux locaux ne se réduisent pas à des effets d’aubaine et peuvent apporter une grande valeur au système électrique

A court terme donc, les projets d’autoconsommation ou de microgrids peuvent être perçus comme des solutions d’optimisation locales permettant à des consommateurs de réaliser des gains sur leur facture électrique. Cela peut poser problème car, dans des pays comme la France, où le tarif de l’électricité est basé sur la consommation d’énergie, les microgrids auront tendance à réduire les revenus de l’opérateur de réseau. Celui-ci devra pour autant fournir aux consommateurs une garantie d’approvisionnement à hauteur de la capacité de pic souscrite, tout en couvrant lui-même ses investissements et coûts opérationnels.
Néanmoins, au-delà de l’optimisation locale, ces projets offrent à l’échelle collective une véritable opportunité d’optimiser et réduire les besoins en infrastructure réseau. Les réseaux sont en effet aujourd’hui dimensionnés pour répondre à la demande maximale d’électricité. A cela s’ajoute un certain niveau de redondance des installations pour garantir la sécurité d’approvisionnement. Cette approche découle d’un optimum économique éprouvé depuis des décennies pour un système électrique reposant sur de la production centralisée et des réseaux « descendants » [3] . A mesure que le système électrique évolue, cet optimum économique historique pourra cependant évoluer. Créer de la flexibilité au niveau local (par de la production et/ou du stockage distribués et en s’appuyant donc sur les microgrids) pourrait ainsi permettre de diminuer les exigences faites au réseau, et ainsi d’en diminuer les coûts. Néanmoins, ces opportunités peuvent aujourd’hui être limitées par deux facteurs. Le premier découle de la pré-existence du réseau et de son niveau de redondance, qui limitent les cas où il est possible de repenser en profondeur la structure du réseau. Les opportunités devraient donc surtout concerner des cas d’extension du réseau (extension urbaine par exemple) ou d’augmentation de ses capacités. A titre d’exemple, pour Enedis, le principal opérateur du réseau de distribution électrique en France, les investissements spécifiquement associés au renforcement du réseau et au raccordement des utilisateurs correspondait à 1,4 milliards d’euros en 2015 (sur un total de 3,2 milliards investis sur les réseaux de distribution) [5]. Le deuxième facteur découle du modèle d’affaires associé aux gestionnaires de réseau et aux cadres réglementaires qui les régissent, en Europe notamment. Aujourd’hui, ceux-ci n’incitent ni ne permettent l’utilisation à grande échelle de ces nouveaux outils flexibles dans la gestion des réseaux. Il faudra donc un profond changement réglementaire puis méthodologique et organisationnel pour que les microgrids et la flexibilité locale soient pleinement associés aux décisions long-terme d’investissement et soient utilisés comme de véritables leviers pour une intégration efficace des énergies renouvelables et une meilleure sécurité d’approvisionnement.

L’organisation des parties prenantes sur un microgrid repose sur le partage de la propriété et de l’exploitation, à la fois du réseau et des sources de production

L’émergence de projets d’autoconsommation sur des réseaux locaux ou de microgrids, souvent multi-acteurs, suppose une organisation optimale des rôles et responsabilités des différentes parties prenantes. Des expérimentations d’autoconsommation collectives, comme celle de la commune de Marmagne, montrent notamment la présence de nouveaux acteurs qui, comme VINCI Energies à travers sa marque Omexom, participent désormais à ces projets aux côtés des sociétés historiques comme Enedis. Dans ce contexte, l’étude d’ENEA de 2017 s’est intéressée aux différentes options de modèles d’affaires pour les acteurs de projets microgrids. Notamment, cette étude a identifié quatre rôles essentiels sur un projet microgrid : le propriétaire du réseau, son exploitant, le propriétaire des actifs de production et leur exploitant. En supposant que trois types d’acteurs peuvent endosser ces différents rôles – les gestionnaires du réseau de distribution (GRD), l’utilisateur final du microgrid et des acteurs tiers – de multiples variantes de modèles d’affaires peuvent être envisagées. La Figure 2 ci-dessous donne un exemple de modèle d’affaires où le GRD possède et exploite le réseau alors que les actifs de production du microgrid, propriété de l’utilisateur final, sont exploités par un acteur tiers.

Figure 2 – Représentation d’un exemple de modèle d’affaires associé à un projet microgrid

Dans ce cadre d’analyse, ENEA a pu expliciter une dizaine de variantes de modèles d’affaires, schématisées sur la Figure 3 ci-dessous.

Figure 3 - Propriété et exploitation des actifs de production et du réseau sont les quatre fonctions essentielles que se partagent le GRD, un éventuel acteur tiers et l’utilisateur final dans les projets microgrids

Des modèles simples, où l’utilisateur final du microgrid tient un grand rôle (ce modèle correspond à la catégorie « utilisateur unique » sur la Figure 3) peuvent permettre un déploiement rapide car très peu impactés par la réglementation. Ils correspondent typiquement aux projets de type hôpital, université ou aéroport où un exploitant unique a une vision intégrée des besoins du site. Des modèles plus complexes (comme ceux rassemblés au sein de la catégorie « Hybride » sur la Figure 3) devront cependant être envisagés, notamment pour des écoquartiers, afin d’exploiter l’expertise opérationnelle des GRD tout en profitant de la capacité d’investissement et d’innovation d’acteurs tiers.

Les acteurs historiques doivent se positionner face à cette révolution des systèmes électriques, qui ouvre la porte à de nouveaux acteurs

Les options de répartition des rôles et responsabilités mentionnées ci-dessus génèrent de nombreuses questions pour les acteurs en place. Les régulateurs devront tout d’abord mettre en place des cadres réglementaires stables et robustes, favorisant la redistribution équitable de la valeur créée par projets d’autoconsommation sur des réseaux locaux ou de microgrids. Ils devront notamment clarifier les standards permettant de vérifier que l’électricité injectée dans le réseau par ces installations répond aux exigences de qualité requises. Ils devront par ailleurs adapter les contraintes de dissociation des activités de distribution et production/fourniture. Cette dissociation constitue en effet un frein pour le développement d’offres tout-en-un de microgrids. Enfin l’offre de microgrids devra respecter les droits des consommateurs. Dans les projets impliquant des clients multiples, ces derniers devront pouvoir garder leur droit de libre choix du fournisseur d’électricité.
La capacité d’anticipation des acteurs du secteur de l’énergie constituera également un facteur clé de succès dans ce marché naissant. Les fournisseurs de technologie (matériel et logiciel), les développeurs et les exploitants devront notamment comprendre précisément la structure de la chaine de valeur des microgrids, y déceler leurs segments de clients et bien identifier leurs critères de différenciation. De leur côté, les propriétaires de réseaux locaux devront se familiariser avec les différents modèles de délégation afin de trouver des solutions optimisant et partageant équitablement la valeur créée par le microgrid. Cela passera par des phases d’apprentissage, demandant des expérimentations et donnant une importance particulière au partage de bonnes pratiques.
Enfin, les gestionnaires des réseaux publics de distribution devront comprendre et définir leur positionnement vis-à-vis de ces nouveaux modes d’autoconsommation qui peuvent, dans certains cas, se substituer partiellement au réseau public de distribution. Cela les conduira notamment à réinventer leur relation aux utilisateurs du réseau et leurs modèles de rémunération.

REFERENCES

[1] Bloomberg, « Saudi Arabia Gets Cheapest Bids for Solar Power in Auction, » [En ligne]. Available : https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-10-03/saudi-arabia-gets-cheapest-ever-bids-for-solar-power-in-auction.

[2] R. Walton, « Xcel solicitation returns ’incredible’ renewable energy, storage bids, » 2018. [En ligne]. Available : https://www.utilitydive.com/news/xcel-solicitation-returns-incredible-renewable-energy-storage-bids/514287/.

[3] Berkeley Lab, « Santa Rita Jail Microgrid, » [En ligne]. Available : https://building-microgrid.lbl.gov/projects/santa-rita-jail-microgrid.

[4] ENEA Consulting, « Urban microgrids - Overview, challenges and opportunities, » 2017.

[5] Enedis, « Les actions de modernisation du réseau et les investissements d’Enedis, » [En ligne]. Available : http://www.enedis.fr/qualite-et-continuite-de-fourniture#onglet-pour-qui-pour-quoi.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°58.


[1La transformation d’un réseau local en microgrid implique donc que celui-ci détienne des capacités de production suffisantes pour répondre à l’ensemble de la consommation locale, ainsi que des équipements permettant de contrôler les variables physiques du réseau (fréquence et tension).

[2Autoconsommation locale : l’électricité produite est directement consommée sur site sans passer par le réseau électrique. Dans le cas français, elle est ainsi exemptée du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) et de la contribution aux charges de service public d’électricité (CSPE).

[3On parle de réseaux descendants lorsque les flux énergétiques circulent depuis la production centralisée, raccordée au réseau de transport haute tension vers les sources de consommation raccordées en basse tension.

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