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Climatologie : quand l’influence de l’être humain renverse les forces géologiques et astronomiques

mardi 2 mars 2021

Écrit par Claire-Emilie Lecocq (ECL 2010), Christiane Drevet (ECN 1965, Centrale Energies) avec la contribution de Clément Mauuarin (ECN 2013), Damien Ambroise (ECLyon 2014), Hakim Cheikh (ECN 2017), et Julie Prinet (ECNantes 2010, CentraleTransition).

À votre avis, dans quelle région du monde pouvons-nous trouver ces pingouins préhistoriques ?


Ces œuvres d’art ont été découvertes dans la Grotte Cosquer, située dans la calanque de la Triperie à Marseille, en 1991. Elle a été fréquentée, d’après la datation des peintures, entre 27 000 et 19 000 ans avant le présent (AP).
La grotte comporte plus de 200 figurations réalisées sur ses parois. On y observe des peintures et des gravures figuratives essentiellement animales : animaux terrestres (chevaux, bouquetins, bisons, …), mais aussi, et étonnamment, marins (phoques, grands pingouins, …). Fait plus étonnant encore : son entrée est aujourd’hui à 37 mètres sous le niveau de l’eau. Les hommes préhistoriques auraient-ils inventé la plongée sous-marine ?

Climatologie et météorologie, une histoire d’échelle

Comment peut-on prédire les températures à la fin du siècle alors que les prévisions météorologiques sont si incertaines ? C’est toute la différence entre la météo et le climat.

La météorologie s’intéresse aux phénomènes de la partie la plus basse de l’atmosphère, la troposphère, à court terme. Par l’étude des précipitations, des nuages, du vent, de la température et de l’ensoleillement, les météorologues peuvent prévoir avec plus ou moins d’exactitude le temps qu’il fera dans un délai de quelques jours, à un moment donné et sur un lieu précis.

De leur côté, les climatologues utilisent un panel de phénomènes physiques (émissions de gaz à effet de serre, irradiance solaire, éruptions volcaniques, circulation océanique, nuages… le CO2 est loin d’être la seule variable prise en compte !) pour construire des modèles permettant la prédiction à long terme sur l’évolution du climat et son impact sur notre planète. Ainsi, si les météorologistes sont incapables de prévoir s’il fera beau dans un mois, un climatologue peut affirmer qu’il fait en moyenne plus chaud en été qu’en hiver.

Depuis son origine, la Terre a vécu une alternance de climats. Les peintures de la Grotte Cosquer datent de la dernière glaciation, qui a débuté il y a environ 110 000 ans et s’est terminée il y a environ 10 000 ans. À l’époque, la température moyenne à la surface de la Terre s’élève à 10 °C, soit 5 °C de moins qu’au début de l’ère industrielle. Ces 5 °C semblent négligeables mais font toute la différence. À l’époque, le nord de l’Europe était recouvert d’une épaisse calotte glaciaire, le niveau des mers était 115 mètres sous le niveau actuel (permettant à notre ancêtre Homo Sapiens de traverser la Manche à pieds) et le rivage de la Méditerranée se situait à plusieurs kilomètres de la grotte.

Figure 1 : “Europe during the last 150,000 years”, compilé par Jonathan Adams, Environmental Sciences Division, Oak Ridge National Laboratory, USA.

Au début de l’Holocène, alors que la température moyenne à la surface de la Terre augmente, le niveau des mers monte sous l’effet de la fonte des calottes glaciaires et la dilatation de l’eau. C’est ainsi que l’entrée de la grotte se retrouve submergée.

Causes des variations climatiques historiques

L’alternance entre périodes glaciaires et périodes interglaciaires est relativement régulière depuis 2,6 millions d’années [1] – et s’effectue sur des dizaines de milliers d’années.

C’est grâce à l’analyse des carottes glaciaires de l’Antarctique que l’on a pu mesurer les changements de température dans l’atmosphère depuis 429 000 ans d’histoire climatique (par la teneur en 18O dans les bulles d’air qui y sont piégées), ainsi que les taux de dioxyde de carbone et de méthane présents dans ces mêmes bulles. Les cendres des éruptions volcaniques ou encore le taux de Béryllium 10 qui y sont contenus ont permis de recaler dans le temps ces analyses, suggérant, comme on le voit ci-dessous, une relation entre température et taux de CO2 et CH4 dans l’air. Cependant, ces mesures ne sont pas à même de déduire de manière univoque et explicite cette relation.

Figure 2 : Carottage de Vostok, d’après Petit et al, Nature, Juin 1999

En 1930, le mathématicien et astronome serbe Milanković construit un modèle complexe corrélant les cycles de glaciation des derniers millions d’années aux variations de l’orbite terrestre. Sa théorie propose une causalité entre la variation d’insolation à la surface glaciaire et les transitions entre périodes glaciaires et interglaciaires. L’origine de ce qu’on appelle le « métronome astronomique » est due à 3 facteurs, imposant des variations d’insolation de grande période à la Terre : la précession des équinoxes, l’inclinaison de la Terre, et l’excentricité de l’ellipse qu’elle parcourt. Ce sont ces trois facteurs combinés que l’on appelle « Cycles de Milanković », i.e. les variations périodiques et prédictibles du rayonnement solaire arrivant sur la Terre à très grande échelle de temps. Mais si ces cycles prédisent bien l’insolation cyclique au niveau du globe, l’état de l’art ne permet pas d’en déduire précisément les variations de température de la Terre. Ces variations provoquent une rétroaction sur la concentration en CO2 de l’atmosphère, accentuant via son influence sur l’effet de serre le changement de température initié par les changements d’insolation. Le Soleil est bien l’origine des cycles observés lors du dernier million d’années, mais contrairement à ce que prétendent certains, ce phénomène est connu depuis longtemps.

Depuis de nombreuses années, les climatologues ont observé, grâce à un jeu de mesures sur tout le globe, un réchauffement à sa surface de plus en plus rapide, et ceci depuis le début de l’ère industrielle : en 150 ans à peine, ce réchauffement s’élève à +1,2 °C. On est loin des dizaines voire centaines de milliers d’années sur lesquelles s’étalent les changements climatiques du passé que nous venons de décrire, et les cycles de Milanković ne permettent pas de l’expliquer.

Comment expliquer ces changements soudains et jamais vus ? C’est alors que des climatologues du monde entier se sont attachés à répertorier tous les phénomènes physiques en jeu et d’en modéliser les effets. C’est ainsi que le GIEC a été créé pour en premier lieu en faire une synthèse.

Le GIEC – Restitution de l’évolution actuelle du climat

Face à ces changements climatiques rapides, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) décident de créer le GIEC (ou IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change, en anglais) en 1988. Sa mission : « fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade ».

Le GIEC n’est pas une association de personnes physiques mais un groupement de pays – 195 pays en sont membres actuellement. Et s’il est un organe scientifique, il ne conduit pas lui-même de recherche, ni ne suit l’évolution des données ou paramètres climatologiques. Son rôle consiste uniquement à évaluer et agréger des travaux de recherche menés par des climatologues de laboratoires et centres de recherche du monde entier. Chacun de ces travaux doit avoir été soumis à une revue par les pairs avant que le GIEC ne les prenne en compte, et chaque synthèse est elle-même relue par des centaines de scientifiques, qui jugent de la méthode, ces relecteurs changeant en grande partie d’un rapport à l’autre. Le GIEC fonctionne ainsi sur un principe de transparence totale [2] . Depuis sa création, 5 rapports ont été réalisés (sans compter les rapports spéciaux), et le sixième devrait être publié en 2022.

Le graphique ci-dessous représente en grisé l’évolution de la température moyenne mensuelle sur la période des observations instrumentales, de 1860 à 2017, ainsi que les modélisations des contributeurs agrégées par le GIEC. On remarque en orangé la croissance régulière de la température moyenne due aux effets anthropiques, avec sa plage d’incertitude correspondant aux différents modèles des contributeurs internationaux. On remarque en rouge, les « accidents » dans la croissance de la température moyenne totale, qui s’expliquent par des épisodes volcaniques (voir Figure 4), et non à toute autre influence cyclique.
Figure 3 : Rapport spécial du GIEC « Global warming of 1.5 °C », 2018

L’accord entre les mesures et la modélisation de 1860 à 2017 permet au GIEC d’établir des prévisions aux horizons 2050 et 2100, selon les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, et en particulier le CO2.

Effet de serre : de quoi parle-t-on ?

L’essentiel de l’énergie qui chauffe la Terre provient du Soleil. Un tiers est directement réfléchi vers l’espace, le reste est absorbé par la Terre qui réémet l’énergie reçue sous forme d’infrarouges. Les gaz à effet de serre en captent la majeure partie et émettent à leur tour des infrarouges qui vont apporter leur énergie aux basses couches de l’atmosphère, en les réchauffant. C’est l’effet de serre. À l’équilibre pré-industriel, il existe déjà un effet de serre dû essentiellement à la vapeur d’eau et au CO2 naturellement présent. Sans cet effet, la température moyenne au sol serait de - 18°C au lieu des 15°C constatés. Depuis l’ère industrielle, plusieurs phénomènes viennent rompre cet équilibre, dont le principal est l’effet de serre additionnel dû aux gaz à effets de serre (les GES). La croissance continue de cet effet de serre dit « anthropique », entraîne, en tenant compte d’autres paramètres physiques répertoriés sur le graphe ci-dessous, une élévation de la température moyenne des basses couches de l’atmosphère. Pour quantifier l’impact de ces paramètres sur ce réchauffement, on utilise la notion de « forçage radiatif », en W/m².

Les différents facteurs des forçages radiatifs, issus des modélisations du GIEC, sont représentés ci-dessous, avec leurs plages d’incertitude respectives, liées aux différentes contributions des climatologues. On y retrouve bien l’influence ponctuelle des volcans, déjà vue précédemment.
Figure 4 : Cinquième Rapport d’évaluation du GIEC (2014), Contribution du Groupe de travail I, Traduction de la Figure 8.18.

Ainsi, certains des facteurs qui influencent le forçage sont dits « positifs », c’est-à-dire qu’ils viennent augmenter le forçage radiatif : l’irradiance solaire, l’ozone troposphérique, le CO2 et les autres GES (CH4, N2O, ...). D’autres au contraire ont un effet « négatif » sur le forçage radiatif : les éruptions volcaniques, dont on a vu plus haut les effets ponctuels sur l’évolution de la température moyenne, le changement d’usage des sols, l’ozone stratosphérique et les aérosols.

En 2017, les GES d’origine humaine (CO2 et autres GES) représentent à eux seuls près de 75 % du forçage ! Le Soleil et ses taches n’ont qu’un faible impact sur le forçage radiatif (0,2 W/m² par rapport aux 2,8 W/m² dus aux GES). Une conséquence de ces différents facteurs est ainsi une augmentation globale du forçage radiatif de 2,3 W/m² au sol, cause du « réchauffement climatique » actuel observé.

La part imputable à l’homme dans le forçage radiatif, et par suite, l’élévation de la température moyenne au sol, est donc largement prépondérante par rapport à l’influence des taches solaires.

Perspectives à 2050 et 2100 selon les scénarios d’émissions

Le GIEC a analysé et agrégé 42 modélisations pour proposer 4 scénarios d’évolution des températures moyennes à la surface de la Terre, appelé RCP (pour Representative Concentration Pathway), présentés dans son rapport de 2014. Les deux scénarios extrêmes, exprimés en forçage supplémentaire en 2100 sont d’un côté RCP 2.6, limitant le réchauffement à 2 °C en 2100, compte tenu de la plage d’incertitude de la modélisation, et de l’autre RCP 8.5, qui est la trajectoire que l’humanité suit actuellement. Celle-ci nous conduirait, si aucune inflexion ne survient dans la croissance actuelle des émissions de GES, à un réchauffement moyen de 4 °C à horizon 2100, voire de 5°C. Est-ce soutenable ?

Les 2 graphes qui suivent représentent l’évolution du forçage radiatif et de la température moyenne sur le globe. Pour chacun des scénarios, les courbes en traits pleins représentent les valeurs moyennes issues des différents modèles des auteurs-contributeurs climatologues. Les nappes les entourant représentent les incertitudes liées aux différents modèles de ces contributeurs.
Figure 5 : Cinquième Rapport d’évaluation du GIEC (2014), Contribution du Groupe de travail I, Figure 12.5

Ces scénarios RCP dépendent des émissions de GES, et en particulier de celles du CO2, elles-mêmes directement corrélées à la combustion des énergies fossiles. Dans le graphique qui suit, on voit qu’une limite à 2 °C (RCP 2.6) correspond en 2050 à une diminution drastique des émissions en GT de carbone par an, liées à la combustion des énergies fossiles. Rappelons que la moitié des émissions de GES sont actuellement réabsorbées par la biosphère et les océans.
Figure 6 : Cinquième Rapport d’évaluation du GIEC(2014), Résumé Technique, Figure RT.19

Pour le scénario 1,5 °C, permettant d’éviter qu’un très grand nombre de zones côtières ou îles habitées soient submergées, repris par le Haut Conseil pour le climat dans ses deux premiers rapports de 2019 et 2020, les efforts devront être encore plus importants, avec une neutralité carbone dès 2050 (émissions propres + celles dues aux importations – celles dues aux exportations). Il faudra donc, à cette échéance, avoir réussi à combiner sobriété énergétique, accroissement de l’efficacité énergétique, captage du CO2 (Carbon capture and storage), remplacement des énergies fossiles par d’autres sources, taxes carbone aux frontières, et il faut s’y préparer dès maintenant.

Climat et controverse

On entend et lit de nombreuses controverses à propos du climat, et il peut être compliqué de se retrouver entre tous ces avis divergents.

En effet, dès le début de la mise en évidence par le GIEC de l’influence prépondérante sur le climat des émissions anthropiques de GES, des thèses fleurissent pour la réfuter. D’autres paramètres physiques, en particulier la variabilité naturelle du climat, sont évoqués à maintes reprises, comme moteur principal de la machine climatique. Certains scientifiques dits “climatosceptiques” ont proposé et proposent encore des prévisions de baisse des températures moyennes, en particulier à partir de 2000, qui se révèlent fausses année après année. Ils vont pourtant à l’encontre du rapport sur ce sujet de l’Académie des Sciences d’octobre 2010, affirmant le rôle prépondérant des émissions anthropiques sur le climat. Dans une interview accordée au Point en 2019, Sylvestre Huet, journaliste scientifique, déclarait : "Voltaire disait : « Je hais vos idées, mais je me ferai tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer. » Ce qui est très louable. Mais ce modèle ne s’applique pas à la Science."

Conclusion

Le dérèglement climatique, dû en majeure partie à l’effet de serre anthropique, n’est pas une opinion, ni une croyance, mais une réalité mesurée et confirmée par la communauté scientifique internationale. Ses conséquences s’en font déjà ressentir : fonte de la banquise en Arctique et du pergélisol en Sibérie, fonte des glaciers dans les massifs montagneux du monde entier, montée du niveau des eaux (cause du déplacement de la capitale de l’Indonésie Jakarta sur l’île de Bornéo), vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, épisodes climatiques extrêmes de plus en plus violents, …

Si ce dérèglement climatique et son origine ne font plus de doute, reste à savoir comment il se poursuivra jusqu’en 2050, puis en 2100. Nous sommes au point de séparation des différents scénarios : quelle trajectoire voulons-nous prendre ? Sans aucun changement de notre part, nous nous dirigeons vers un monde dans lequel le climat sera intenable, voire mortel pour une très grande partie de l’humanité d’ici la fin du siècle, et même avant. Il est crucial de décider de ce que nous pouvons faire, individuellement et collectivement, pour ne pas arriver à cette extrémité.

Chaque année compte.

Pour aller plus loin, la chaîne YouTube “Le Réveilleur” vulgarise les informations scientifiques sur des sujets tels que le dérèglement climatique, la biodiversité, l’énergie, ...


[1P.-L. Gibbard et M.-J. Head, « IUGS ratification of the Quaternary System/Period and the Pleistocene Series/Epoch with a base at 2.58 Ma », Quaternaire, vol. 20, no 4,‎ 2009.

[2Les informations sont disponibles sur le site du GIEC : www.ipcc.ch/

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