Accueil > Publications > Le Grenelle et l’automobile

Le Grenelle et l’automobile

jeudi 20 novembre 2008, par Aurélien Deragne (ECL 98)

Le Grenelle de l‘Environnement, qui s’est achevé il y a un peu plus d’un an, vient d’être traduit en texte de loi par le Parlement. Revenons sur les mesures concrètes qu’il introduit concernant les transports, ainsi que sur le Mondial de l’automobile d’octobre dernier.

La première matérialisation du Grenelle n’a pas attendu le texte de loi, il s’agit de "l’éco-pastille" autrement appelée "bonus-malus" mise en place dès fin 2007 : selon leurs émissions de CO2, les véhicules neufs bénéficient d’une aide à l’achat allant jusqu’à 5000 € pour les véhicules les moins émetteurs de CO2, ou au contraire sont taxés jusqu’à 2600 € pour les véhicules les plus émetteurs. Cette mesure a eu un effet particulièrement important sur le marché automobile français : les ventes de petites voitures ont connu un véritable boom, tandis que celles des grosses voitures se sont effondrées. De plus, cette mesure a créé une vive effervescence dans le marché automobile qui a bien protégé la France (+3% à fin septembre par rapport à 2007) des baisses observées depuis le début de l’année, par exemple en Grande-Bretagne (-8%) ou en Espagne (-22%).

Le texte "Grenelle 1" finalement adopté par l’Assemblée nationale n’avance pas de nouvelles propositions susceptibles de modifier à court terme nos habitudes : il abandonne certaines idées, comme la réduction des vitesses autorisées, l’instauration de péages urbains ou encore la taxation des compagnies aériennes en concurrence avec des lignes SNCF, mais il fixe d’ambitieux objectifs en terme de réduction des émissions de CO2 et en terme de construction de lignes ferroviaires à grande vitesse... à l’horizon 2020.

Au-delà du Grenelle, un projet de règlementation important est européen : il vise à ramener les normes d’émission à 130g CO2/km en 2012, en moyenne sur tout le marché, l’objectif étant décliné sur tous les constructeurs (contre 160g aujourd’hui).

Dans le domaine de la protection de l’environnement, et dans un contexte où le prix des énergies va croissant, les constructeurs automobiles font assaut de bonnes idées pour faire avancer les choses, et c’est ce qu’ils ont cherché à démontrer lors du Mondial de l’Automobile de Paris qui a fermé ses portes le 19 octobre.

Ainsi chaque marque ou presque montrait sur son stand un ou plusieurs véhicules "propres", et l’on peut les classer selon leur calendrier de lancement probable (ou du moins possible) :
- véhicules à moteur thermique, optimisés pour réduire les émissions de CO2 et ainsi passer des seuils psychologiques ou de taxation. Exemples : Ford Fiesta 99g, VW Golf 99g, Seat Ibiza 99g... Ces véhicules sont déjà commercialisés ou en passe de l’être.
- véhicules équipés de moteurs thermiques auquel on ajoute un petit moteur électrique, de manière à stopper le moteur à l’arrêt au feu rouge : systèmes "Stop & Start" de Peugeot et Citroën par exemple, déjà proposés et en cours de déploiement pour atteindre 1 million de véhicules équipés en 2011.
- véhicules hybrides essence-électrique (par exemple la Toyota Prius déjà en vente) ou diesel-électrique (commercialisation en 2011 pour PSA Peugeot Citroën). Dans ce cas la propulsion peut être assurée par le moteur électrique seul, réduisant alors à 0 les émissions de CO2 pendant quelques kilomètres (selon la taille des batteries). Le moteur thermique reste utilisé la plupart du temps, mais le bilan global est positif, surtout en ville.

Les catégories suivantes peuvent toutes être assimilées à des véhicules électriques, les différences se faisant sur la manière de fournir de l’électricité au moteur :
- véhicules hybrides plug-in (exemple Toyota Prius 3 en 2009) : dans ce cas les batteries sont de taille plus conséquente et permettent d’envisager de rouler en mode électriques de manière quasi-permanente. Une prise permet de brancher la voiture sur le réseau électrique pour recharger les batteries.
- véhicules électriques avec prolongateur d’autonomie (range extender) comme la Chevrolet VOLT prévue en 2010 : en plus du plug-in, le véhicule dispose d’un moteur thermique de petite cylindrée qui fonctionne uniquement pour recharger les batteries, sans possibilité de propulser directement la voiture. Ce moteur thermique est alors optimisé pour cette fonction et est moins cher à fabriquer.
- véhicules électriques avec pile à combustible : dans ce cas l’énergie électrique est fournie par une pile à combustible, procédé qui transforme de l’hydrogène en électricité en ne dégageant que de l’eau et de l’électricité. Les problèmes sont multiples : soit stocker de l’hydrogène, ce qui impose un réservoir très lourd pour stocker suffisamment d’hydrogène à très haute pression, soit obtenir l’hydrogène à bord par crackage d’alcool ou d’hydrocarbure, ce qui réduit l’intérêt écologique du système tout en empilant les systèmes techniques ce qui diminue aussi l’intérêt économique.
- véhicules électriques avec plug-in sans moteur thermique. Cette fois c’est le grand saut, il n’y a plus aucun moteur thermique. Le projet "Better Place" de l’alliance Renault-Nissan, qui doit démarrer bientôt en Israël, prévoit des batteries amovibles pouvant être échangées dans des stations remplaçant petit à petit nos stations-service actuelles. Un aspect intéressant du projet concerne l’utilisation des énergies renouvelables pour remplir les batteries : le défaut des énergies renouvelables est généralement qu’elles sont intermittentes ce qui nuit à leur utilisation dans le réseau électrique domestique. Or l’automobile est précisément un secteur où il faut utiliser une énergie stockée sous une forme transportable : énergies solaire et éoliennes deviennent alors tout naturellement les compléments énergétiques des voitures électriques. Autres exemples (mais sans batterie échangeable) : la BO de Bolloré-Pininfarina équipée de panneaux solaires sur son toit pour alimenter les équipements (descendante de la Blue-Car présentée il y a quelques mois), disponible en pré-commande dès l’an prochain, ou la marque chinoise BYD, qui doit commercialiser dès 2009 son propre véhicule électrique.

On voit que tous ces concepts tendent vers le véhicule électrique, une technologie pourtant récemment visitée par les constructeurs (106 et Saxo électriques des années 1995), mais en y ajoutant ce qui manquait à l’époque : une autonomie et des prix réalistes. D’autres concepts existent également, mais peinent à faire leurs preuves, notamment la voiture à air comprimé de MDI (Guy Nègre).

Lors de sa visite au salon, Nicolas Sarkozy s’est montré très intéressé par les véhicules électriques. Il a annoncé un plan de 400 millions d’euros sur quatre ans, destiné à favoriser la recherche et le développement des "véhicules propres" (électriques ou hybrides), ce montant étant déjà disponible sur les sommes prévues par le Grenelle de l’environnement, dans les pôles de compétitivité et sur le fonds démonstrateur de l’ADEME. Pour faire face à la crise actuelle, il a également annoncé qu’il demanderait à la Commission européenne d’assouplir le régime des aides d’Etat pour permettre aux pays membres de l’UE de soutenir les politiques en faveur de l’environnement et les constructeurs automobiles.

Les incitations publiques peuvent être décisives, car ce qui freine le déploiement de nouvelles technologies plus propres dans l’automobile, outre la maturité technologique elle-même (par exemple performances des batteries), c’est leur coût, l’automobile étant un secteur très sensible au prix : un constructeur répercutant intégralement sur le client le surcoût d’une de ces nouvelles technologies (ordre de grandeur : entre 5 et 10 k€ par exemple) prend le risque de voir son véhicule boudé par la clientèle, qui lui préférera un véhicule certes un petit peu moins propre mais plus accessible financièrement. Sans intervention des pouvoirs publics, la transition ne peut qu’être lente, les technologies se démocratisant et se rentabilisant progressivement. L’exemple de la Prius est à ce sujet très intéressant : constatant que le véhicule serait hors de prix et donc invendable s’il était proposé à un prix calculé de manière habituelle (c’est-à-dire en ajoutant une marge au prix de revient), les têtes pensantes de Toyota ont décidé de financer cette voiture sur le budget "Marketing et Publicité" sans attendre d’elle la même rentabilité que les autres voitures. Et, de fait, la Prius a parfaitement rempli son rôle de publicité ambulante, enrichissant de manière décisive l’image de marque écologique de Toyota. Aujourd’hui la Prius 2 et la future Prius 3 sont à l’équilibre financier, voire même permettent peut-être au constructeur de gagner de l’argent.-En tout cas, il faut surtout ne pas croire à un éventuel "complot" des constructeurs, qui seraient associés aux pétroliers pour freiner l’émergence de nouvelles technologies. Les constructeurs sont en forte concurrence, et il est certain que le premier sachant proposer une solution réduisant la consommation énergétique du véhicule à un prix acceptable pour le client le fait sans aucune retenue.

Pour finir, je pense qu’il faut se poser des questions plus globales : ces optimisations techniques constituent-elles une réponse appropriée au défi environnemental auquel elles prétendent répondre ? Si le véhicule électrique permet d’annuler les émissions sur son lieu d’utilisation, comment est produite l’électricité qu’il utilise ? Et au-delà de l’énergie nécessaire à son utilisation, une automobile consomme beaucoup de matières premières et d’énergie pour sa fabrication, son recyclage, la création de parkings et de routes, etc.

Par ailleurs, on sait que l’automobile, la flexibilité d’usage qu’elle offre et la vitesse de déplacement qu’elle permet, contribuent à remodeler les espaces dans lesquels nous vivons et l’armature territoriale des services et équipements auxquels nous devons avoir accès. Ces restructurations sont des tendances de fond qui augmentent la portée des trajets quotidiens et annihilent, en augmentant le nombre de kilomètres à parcourir et le nombre de véhicules en circulation dans la société, les efforts technologiques visant à réduire les émissions par véhicule.

Retrouvez également cet article dans le Flash n°8

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.