Le véhicule électrique, une solution d’avenir ? (paru dans le Flash n°60)
lundi 11 juin 2018, par
Les propos tenus dans ce Flash ne représentent que l’opinion de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement l’opinion du groupe Centrale Energies
Le véhicule électrique (VE) se développe mais des voix s’élèvent pour s’interroger sur sa pertinence : quid du recyclage ? Quid des ressources ? Cela ne va-t-il pas nécessiter la construction de nombreuses nouvelles centrales électriques ? En aidant le développement de cette technologie, ne fait-on pas collectivement une grosse bêtise ? Cet article explique le développement actuel, donne les perspectives d’évolution, et fait le point sur les problèmes soulevés.
Un développement rapide
Les pouvoirs publics, partout dans le monde, poussent très fortement le développement du véhicule électrique. Et le phénomène est relativement récent (5 à 10 ans). La puissance publique utilise des aides à l’achat, qui coûtent cher, mais aussi des aides à l’usage, qui coûtent moins cher et qui pourraient bien se développer rapidement (places de parking réservées, voies sur l’autoroute réservées, rues réservées, voire quartiers entiers). Dans le même temps les contraintes sur les véhicules thermiques s’amplifient. Les normes anti-pollution vont continuer à se durcir, ce qui va contribuer à augmenter leur coût. Les véhicules thermiques sont même bannis de certaines métropoles. A Paris par exemple, on le sait, le Diesel n’est pas le bienvenu. Et le gouvernement français a même annoncé la fin des ventes de véhicules thermiques pour 2040, au profit des seuls véhicules électrique et hybride rechargeable. Et ce qui semblait, lors de l’annonce, une lubie écologiste n’a rien d’extraordinaire au niveau mondial. Saviez-vous qu’avant même l’annonce de Nicolas Hulot (début juillet 2017), les Pays-Bas et la Norvège avaient annoncé la même intention pour 2025, l’Inde pour 2030 (en mai 2017) et la Chine hésitait entre 2025 et 2030 ? Et les annonces ont continué : l’Allemagne pour 2030, le Royaume-Uni pour 2040 (annoncé aussi en juillet 2017), l’Irlande pour 2030 (février 2018), la Californie pour 2025 (janvier) etc...
Pourquoi cet engouement récent des pouvoirs publics ? Car en effet le véhicule électrique existe depuis les débuts de l’automobile, et on lui a prédit régulièrement un avènement « pour bientôt », sans que rien ne se passe. La situation a fortement évolué depuis le début des années 2010 pour deux raisons principales. Premier facteur : à cette période, la lutte contre le réchauffement climatique a fait apparaître l’intérêt du véhicule électrique, qui n’émet aucun CO2 lors de son utilisation. Bien sûr, si l’électricité est produite à partir de charbon, on n’a rien gagné, mais au moins le VE offre l’opportunité d’avoir un bilan « production d’électricité + émission en roulant » très faible, pour peu qu’on produise l’électricité avec pas ou peu de CO2. De nombreux états ont donc fait de la promotion du véhicule électrique leur arme principale pour réduire les émissions de CO2 dans les transports. Au niveau européen, une contrainte réglementaire sur les émissions moyennes de CO2 a été mise en place (CAFE pour Clean Air For Europe programme, reprise de l’acronyme US CAFE pour Corporate Average Fuel Economy), avec un seuil à 95g à ne pas dépasser par l’ensemble des constructeurs en 2020, sous peine d’amendes rédhibitoires susceptibles de les faire disparaître (de l’ordre de plusieurs milliards d’€).
Pour beaucoup de constructeurs, le VE, qui est compté pour 0 dans le bilan et permet même d’obtenir un bonus, est la seule solution pour atteindre le seuil.
Deuxième facteur apparu dans le même temps, l’urbanisation du monde a atteint des seuils critiques : plus de 50% de la population est devenue urbaine en 2008, avec aujourd’hui 47 agglomérations de plus de 10 millions d’habitants. Avec des transports thermiques, cette urbanisation engendre immanquablement une pollution devenant irrespirable. On a tous en tête les photos des villes chinoises archi-polluées, mais c’est aussi vrai dans les autres mégalopoles en Amérique du nord ou Amérique latine, en Europe, et à Paris les scandales sur la qualité de l’air se sont enchaînés.
Le résultat de l’implication des pouvoirs publics, nationaux et locaux, c’est un développement rapide des VE en France, en Europe et dans le monde.
Le graphe ci-dessous (figure 1) illustre les immatriculations en Europe. Le marché a été multiplié par 7 entre 2011 et 2017 (150 000 immatriculations).
L’électrique représente encore moins de 1% du marché européen, mais toutes les études prévoient qu’il représentera quelques % en 2020, et autour de 10% en 2025.
Et le phénomène est mondial : en 2017, 120 000 VE se sont vendus aux Etats-Unis, et plus de 450 000 en Chine.
Les 10 prochaines années
Quand ce développement va-t-il s’arrêter ?
Les trois freins actuels au développement du VE sont : le prix, l’autonomie et le manque d’offre. Or ces trois freins sont en train de disparaître.
Le coût des VE fond rapidement et cela va continuer pendant quelques années. Durant des décennies les laboratoires et les équipes de recherche et développement ont travaillé à améliorer les moteurs thermiques, dont les performances se sont fortement améliorées. Depuis quelques années, de plus en plus de ces cerveaux ne travaillent plus sur les moteurs thermiques mais sur l’électrique, en particulier les batteries. A la clé, des prix de batterie qui fondent, alors que dans le même temps les densités énergétiques s’envolent. Résultat : dès maintenant sortent des véhicules avec des capacités batterie double ou triple de celles des véhicules d’il y a simplement 3 ou 4 ans, à iso-prix, offrant des autonomies permettant une vraie polyvalence avec 300 à 500 km. Et cela va continuer dans les prochaines années, comme l’illustre la prévision de coût du kWh de batterie de VAG (figure 2).
Dès aujourd’hui le coût total d’utilisation (TCO en anglais, Total Cost of Ownership, prenant en compte les coûts de l’énergie, l’entretien, l’assurance etc.), très utilisé par les entreprises, est favorable au VE, dans certains cas d’utilisation, par exemple pour les sociétés roulant peu chaque jour, mais tous les jours ou presque. Avec les baisses de prix prévues, le TCO d’un VE sera meilleur qu’un thermique pour la plupart des clients entre 2020 et 2025. Et de nombreuses prévisions montrent que le prix d’achat d’un VE deviendra inférieur à celui d’un thermique entre 2025 et 2030. En effet, pendant que le prix des VE va s’améliorer, le prix des thermiques va continuer de grimper sous l’effet des contraintes anti-pollution.
Concernant l’autonomie, elle va continuer à augmenter afin de rejoindre celle des véhicules thermiques (entre 500 et 1000 km), les progrès sur la densité énergétique des batteries permettant bientôt d’arriver à ce résultat avec des batteries de même masse qu’aujourd’hui. Ainsi Samsung annonce des densités énergétiques supérieures à 300 Wh/kg pour 2020 (entre 150 et 200 en ce moment). Dans le même registre VAG annonce 700 Wh/l en 2020 (environ 400 en ce moment), voir figure 3.
Concernant l’offre : aujourd’hui un acheteur de Zoé, s’il veut passer à un SUV, ne peut pas rester en électrique, tout simplement parce que l’offre n’existe pas encore. Mais tous les constructeurs vont déployer un grand nombre de VE d’ici 2020 pour franchir les seuils type CAFE, ce qui va démultiplier l’offre électrique dans tous les segments. Et cela va continuer par la suite une fois que la dynamique sera enclenchée.
Les freins actuels des acheteurs vont donc progressivement disparaître, ce qui permettra aux pouvoirs publics de basculer sur les mesures incitatives les moins coûteuses. Surtout que le VE possède cette caractéristique unique qui le différencie d’autres technologies émergentes : les utilisateurs sont extrêmement satisfaits de l’utilisation, indépendamment de ses bienfaits réels ou supposés pour l’environnement. L’essayer c’est l’adopter. Après avoir acquis un VE, on ne veut plus revenir au thermique et c’est à contre-coeur qu’on le fait si on y est contraint. Un VE, c’est zéro bruit de moteur, zéro vibration, zéro odeur, un grand dynamisme au démarrage, et en même temps une conduite beaucoup plus sereine et confortable.
Au final, le développement du VE sur batterie est assuré pour au moins 10 ans.
L’Hydrogène va-t-il prendre la suite à moyen terme ? Personnellement je ne le pense pas, le véhicule à hydrogène n’ayant selon moi pas assez d’arguments.
Un véhicule à hydrogène c’est un VE avec une petite batterie (donc moins chère qu’une grosse) + une pile à combustible + un réservoir d’hydrogène. Si la pile à combustible et le réservoir coûtent plus cher que ce qu’on a gagné sur la batterie, le coût global est immanquablement plus élevé qu’un VE. Avec la baisse du prix des batteries, l’intérêt économique de l’hydrogène s’éloigne. La vraie supériorité de l’hydrogène, c’est la rapidité de recharge. Sur ce point en effet, l’avantage restera indéniable, avec un remplissage en quelques minutes comme l’essence et le Diesel, même si les puissances de charge des VE vont progressivement augmenter afin de limiter les temps de recharge (on est à 50 kW et le marché est en train de passer à 100 kW, quand 150 et même 350 kW commencent à être évoqués). Reste un gros point noir : le réseau de charge en hydrogène. En France, on ne compte qu’une dizaine de sites. Combien cela coûterait-il d’installer un réseau de plusieurs milliers de points de charge, alors que nous sommes déjà en train d’installer à grands frais un réseau dense de recharges électriques ?
La production d’électricité
Avec tous ces véhicules électriques, ne va-t-on pas manquer d’électricité ?
Il faut avoir conscience que ce n’est pas une question de quantité d’énergie, mais d’appels de puissance simultanés.
Faisons le calcul : si l’ensemble du parc français (soit environ 30 millions de véhicules particuliers en 2017) était électrique, sachant que la consommation d’un VE représente environ 2 250 kWh/an (moyenne actuelle de 15 000 km/an x consommation de l’ordre de 150 Wh/km), cela représenterait 67,5 TWh, soit moins de 13% des 530 TWh produits en 2017. Autrement dit on est dans la marge de variation de production de notre système électrique ou de ce que nous fournissons à l’étranger. Mais un VE ne consomme pas l’électricité en continu, il la consomme pour beaucoup pendant les petites périodes de temps où il est branché, à une puissance la plus élevée possible. Le problème surviendrait si toutes les recharges avaient lieu en même temps. Le développement des « smart grid », pour piloter les recharges de tous ces véhicules, tout en garantissant le service rendu à leurs propriétaires (qui veulent partir avec suffisamment d’autonomie le lendemain matin ou après leur déjeuner), ainsi que celui de solutions de stockage d’énergie « tampon » semblent donc absolument nécessaire.
Le bilan CO2
Le véhicule électrique est-il si propre tout pris en compte ? On entend parfois dire qu’en réalité il est pire qu’un véhicule thermique, notamment parce que la fabrication et le recyclage des batteries seraient très énergivores. Pour y voir plus clair, l’ONG ICCT (International Council on Clean Transportation) a publié en février une étude comparant véhicules thermiques et électriques. Il en ressort que tout pris en compte (production des batteries, de l’énergie électrique etc), le véhicule électrique serait dans tous les cas de figure bien moins émetteur en CO2 sur une durée de vie de 150 000 km (voir figure 4).
En Europe le bilan CO2 d’un véhicule électrique est en ordre de grandeur 50% plus faible qu’un véhicule thermique avec le mix énergétique actuel. En Allemagne où l’électricité est très carbonée l’écart est plus faible, seulement 20%, mais néanmoins réel. Et l’écart est gigantesque, environ 70%, en France ou en Norvège, où l’électricité est très peu carbonée.
En mars, un rapport du parlement européen a con-firmé ces analyses, avec des écarts plus faibles (-20% avec le mix énergétique européen, et jusqu’à -50% pour de l’électricité éolienne, voir figure 5) mais en soulignant que le bilan peut s’améliorer fortement en augmentant le taux de recyclage des batteries.
Les terres rares, les métaux et le recyclage
Concernant les terres rares, ces 17 éléments très utilisés dans l’électronique, il est vrai qu’on en trouve beaucoup dans l’industrie automobile… mais pas forcément dans les VE, contrairement aux idées reçues ! En effet les terres rares sont utilisées dans les pots catalytiques, et pour miniaturiser certains moteurs électriques, par exemple ceux des lève-vitres, rétroviseurs etc. Pour le moteur principal d’un VE, on peut très bien s’en passer, comme le prouvent la Renault Zoé ou les Tesla, dont le moteur ne contient pas de terres rares. De plus les batteries Lithium-ion des VE actuels n’en contiennent pas. Les terres rares sont donc un faux problème pour les VE.
Concernant les métaux, on trouve dans une batterie de technologie actuelle une dizaine de métaux différents. Deux d’entre eux sont souvent évoqués en ce moment, principalement parce que ce sont les plus chers : le Cobalt (6% de la batterie d’un Opel Ampera-e) et le Lithium (2%). Même s’ils ne sont pas rares, comme toutes les ressources sur Terre ils sont en quantité limitée. Par exemple nous aurions entre 20 et 30 ans de réserves de Cobalt avec le développement du marché du véhicule électrique. Il devient ainsi essentiel de développer des technologies de batterie alternatives. A cela s’ajoute le problème de la concentration de ces minerais, souvent issus de pays politiquement instables, et parfois extraits grâce au travail d’enfants, comme le montrait un rapport d’Amnesty International en Novembre 2017 sur l’extraction du Cobalt par des enfants en RDC (République Démocratique du Congo).
Nous devons aussi développer le recyclage. Depuis 2006 les constructeurs automobiles ont l’obligation d’établir une filière de recyclage pour traiter 100% de leurs batteries usagées, avec un taux minimal de recyclage des matières de 50%. En pratique, certains recycleurs comme la SNAM, partenaire du Groupe PSA, parviennent à un taux de recyclage proche de 70% pour les batteries Lithium-ion, mais ce taux peut encore être amélioré. En effet, la récupération de certains métaux est coûteuse et n’est pas mise en pratique pour le moment.
Conclusion
On le voit le développement du véhicule électrique n’est pas parfait. Mais quelle activité humaine n’a aucun impact sur l’environnement ? Il faut d’abord rappeler que l’automobile individuelle n’est qu’une partie du problème : concernant les émissions de CO2 par exemple, les transports ne représentent que 25% du total en Europe, dont seulement 13% pour la voiture particulière, ce qui veut dire que de gros efforts doivent aussi être réalisés sur les poids lourds et autres véhicules utilitaires, le maritime et l’aérien.
Quel que soit le domaine, notre responsabilité est de minimiser l’impact de nos activités sur l’environnement, et pour l’automobile individuelle le véhicule électrique y contribue. Il ne résout pas tout, loin s’en faut. On peut faire mieux, et pour cela nous devons aménager nos manières de nous déplacer. Par exemple, en arrêtant d’aller au travail, tous les jours, seuls dans nos voitures d’1,5 tonne…
Sources
https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.URB.TOTL.IN.ZS
https://www.populationdata.net/palmares/villes/
http://www.europarl.europa.eu/RegDa...
http://www.europarl.europa.eu/RegDa... (Page 24)
https://ec.europa.eu/clima/policies/transport/vehicles/cars_en
https://fr.wikipedia.org/wiki/Recyclage_des_batteries
https://insideevs.com/samsung-sdi-from-130-whkg-to-250-whkg-by-2019-and-300-whkg-in-%E2%89%882020/
À propos de l’auteur
Je travaille pour le groupe PSA, au sein de la Business Unit « Low Emission Vehicles ». Je précise cependant que cet article exprime mes opinions personnelles et n’est absolument pas écrit au nom du Groupe PSA